Tags | langage oral, TSP, langage écrit |
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Titre original | Are Speech Sound Difficulties Risk Factors for Difficulties in Language and Reading Skills? A Systematic Review and Meta-Analysis |
Auteurs | Walquist-SørliLine, Caglar-Ryeng Ømur, Furnes Bjarte, Nergård-Nilssen Trude, Donolato Enrica, Melby-Lervåg Monica |
Date de publication | septembre 2024 |
Revue | JSLHR |
Lien Source | https://doi.org/10.1044/2024_JSLHR-24-00170 |
Cet article qui est quoi? Il s’agit d’une méta-analyse c’est-à-dire, une revue systématique ayant la spécificité de combiner les résultats quantitatifs de plusieurs études indépendantes pour obtenir une estimation plus précise et plus puissante de l'effet d'une intervention ou d'une relation entre différentes variables. Les auteurs ont pu combiner 290 tailles d’effet d’études transversales ou longitudinales comparant les compétences langagières et en lecture d’enfants avec un Trouble des Sons de la Parole (TSP) et d’enfants avec un développement typique (DT). On y ajoute aussi 37 tailles d’effet issus d’études corrélationnelles étudiant la relation entre les compétences en parole avec les compétences langagières ou en lecture auprès des enfants au DT.
Prenons le temps de préciser deux trois petits choses ensemble !
Les études de comparaison de groupe transversale kesdonc ?
Imaginez que l’on observe deux groupes d’enfants à un moment donné : ceux qui ont un TSP, et ceux qui n’en ont pas (DT). On compare alors leurs compétences en langage ou en lecture au même moment. C’est exactement ce que fait une étude transversale : une photo instantanée pour voir s’il existe une différence entre les deux groupes.
Et une étude de comparaison de groupe longitudinale alors ?!
Ici, ce n’est plus une photo, mais un petit film ! On suit les mêmes enfants pendant plusieurs années : par exemple, on repère ceux qui ont des difficultés de production de la parole à la maternelle et on regarde s’ils rencontrent plus de difficultés en lecture ou en langage plus tard, à l’école primaire.
Et le dernier ! Les études corrélationnelles !
Dans ce cas, on ne compare pas deux groupes. Ce sont des études qui examinent la relation entre deux ou plusieurs variables, sans manipulation de ces variables par le chercheur. Elle permet de déterminer si elles évoluent ensemble (positivement ou négativement) et avec quelle force.
Même si ces études montrent des liens entre les difficultés de production de la parole et celles du langage ou de la lecture, elles ne permettent pas de dire que l’une cause l’autre. C’est un peu comme remarquer que quand il pleut, les gens ont des parapluies : ce n’est pas le parapluie qui fait pleuvoir, bien sûr ! Autre exemple facile, corrélation positive entre le nombre de noyades en piscine et la consommation de glace mais ce ne sont pas les glaces qui causent les noyades !
Donc ici n’allez pas partager l’article de ce blog pour dire que ce sont les TSP qui causent des difficultés de lecture ou de langage ! Ce n’est pas la question ! Pour vraiment comprendre si les TSP entraînent directement des difficultés en lecture, il faudrait d’autres designs, avec des suivis très réguliers ou des interventions ciblées.
Revenons-en à l’article.
Selon la définition de l’International Expert Panel on Multilingual Children’s Speech (2012) « les TSP concernent toute combinaison de difficultés de perception, d’articulation/ production motrice, et/ou de représentations phonologiques, au niveau des phonèmes (consonnes et voyelles), des informations phonotactiques (formes des mots et structures syllabiques), et/ou de la prosodie (tons lexicaux et grammaticaux, rythmes, accent et intonation) qui peut impacter l’intelligibilité ou l’acceptabilité de la parole ». Les TSP sont très fréquents chez les enfants d’âge préscolaire, et représentent l’un des principaux motifs de consultation en orthophonie dans cette tranche d’âge. Beaucoup d’études se sont intéressées au lien entre un TSP et les compétences langagières ainsi que les compétences futures en lecture mais aucune revue systématique ou méta-analyse n’a proposé une synthèse des données actuelles. Si le rôle de la conscience phonologique comme précurseur de la lecture est bien établi, il en est tout autre pour le lien entre les capacités en production de la parole et les compétences langagières (dont la conscience phonologique). Les résultats sont globalement inconsistants. S’il ne fait aucun doute que ce sont des construits différents, les études obtiennent des indices de corrélation très variables !
Doit-on considérer un TDSP comme un toboggan déboulant sur des troubles du langage oral et/ou écrit ? Est-ce un facteur de risque à considérer ? Est-ce un facteur causal ? (soyez attentifs ! on a dit tout à l’heure que l’on ne répondrait pas à cette question) Y-a-t-il d’autres variables à prendre en compte (la sévérité du TSP, l’âge, le QI non verbal, etc) ? Ou simplement il n’est pas nécessaire de s’inquiéter davantage ?
Les recommandations cliniques concernant la prise en charge des TSP varient selon les pays. Si ces difficultés sont perçues comme transitoires alors qu'elles constituent en réalité un facteur de risque pour le développement ultérieur du langage et de la lecture, elles ne doivent pas être négligées. Les résultats de cette méta-analyse pourront fournir des premières recommandations plus claires sur l’approche à adopter en termes d’évaluation et d’intervention.
Cette méta-analyse cherche à répondre aux questions de recherche suivantes:
Les enfants d’âge préscolaire présentant un TSP montrent-ils des compétences langagières et en lecture plus faibles, à la fois au moment de l’évaluation et plus tard, comparativement à des enfants DT ?
Quels sont les facteurs qui modèrent ces différences ?
Ici, les auteurs vont utiliser les tailles d’effet des études de comparaison de groupe transversales et longitudinales !
Chez les enfants DT, les compétences en production des sons de la parole à l’âge préscolaire sont-elles associées aux compétences langagières et en lecture, de manière simultanée et dans le temps ?
Quels sont les facteurs qui modèrent ces relations ?
Et ici, ils vont utiliser les tailles d’effet des études corrélationnelles !
Avant d’aller plus loin… il va falloir que l’on aborde un petit point terminologique parce que de mon temps, on parlait encore de retard de parole, de trouble d’articulation etc.
Il y a un gros débat actuellement dans la littérature sur ces classifications des TSP ! Elles peuvent être basées sur une approche étiologique, une analyse comportementale ou encore une analyse des processus psycholinguistiques.
Pleiiiiiin de questions se posent ! Quelle classification est la plus pertinente ? Ces appellations sont-elles vraiment pertinentes ? La catégorisation est-elle stable dans le temps pour un même patient ?
Rappelez-vous quand on parlait de dysphasie sémantico-pragmatique ou la dysphasie phonologico-syntaxique ! Puis on a appris que ces sous-catégorisations n’étaient pas cliniquement pertinentes et que le profil de l’enfant variait au cours du temps. La solution désormais >>>> parler de TDL et décrire le profil de l’enfant !
Devinez quoi ! On en arrive au même questionnement pour le TSP ! D’ailleurs, c’est un peu pour ça que l’on parle de TSP, c’est un terme neutre, inclusif et unique. Le sujet vous intéresse ?
Vous avez différentes sources disponibles :
Le PowerPoint en français de Léonor Piron
L’article de Waring et Knight (2013) utilisé par les auteurs de la présente méta-analyse
Et plein d’autres en farfouillant !
Dans cette méta-analyse, les auteurs se basent sur la classification proposée par Waring et Knight (2013) :
Un sous-groupe basé sur l’articulation Un sous-groupe basé sur la phonologie Un sous-groupe lié à la planification/programmation motrice
En premier lieu, les auteurs ont déposé le protocole de leur étude sur une plateforme en open access. Ca c’est trop trop trop bien car ça permet de favoriser la transparence du processus de traitement des données !
Ensuite, les auteurs ont réalisé une recherche des études primaires sur plusieurs bases de données (par exemple, Medline, PsycINFO, LLBA) et des sources permettant de couvrir la littérature grise (par exemple ProQuest Dissertation). Ils ont trouvé 1229 résultats mais il y avait 314 duplicatas (>>> poubelle !).
Ensuite, il a fallu trier les 915 études restantes. Pour intégrer les études dans la présente méta-analyse, il fallait que les études de comparaison de groupe répondent aux critères suivants : TSP âgés de 3 à 18 ans ; évaluation du langage oral et/ou de compétences en lecture ; design transversal ou longitudinal ; groupe DT apparié par l’âge ; exclusion bégaiement, fente palatine, bilingue et TSP d’origine motrice*.
Pour les études corrélationnelles, les critères étaient : DT âgés de 3 à 18 ans ; toutlerestepareil.
La sélection des articles a été réalisé par deux juges en aveugle par deux des auteurs pour 20% des études et ils ont obtenu un kappa de cohen de 0.77 (ça veut dire que c’est pas trop mal au niveau de l’accord entre eux ! en général on préfère un 0.80 pour ne pas réaliser toute la sélection à deux juges en aveugle). Au final ils ont sélectionné 52 études !
Après tout ce travail, il a fallu coder toutes les données des études. Pour notre santé mentale à tous et ma propre incompétence je ne vais pas détailler. Excepté un point… Les auteurs ont codé les facteurs modérateurs (c’est-à-dire les variables qui pourraient influencer l’intensité ou la direction du lien étudié). Ils ont considéré les variables suivantes : le type de TSP* (articulation, phonologie, les deux ou inconnu) ; la sévérité du TSP ; le QI non verbal ; l’âge ; l’année de publication et le pays de provenance de l’échantillon.
Si vous avez l’œil vif, vous avez dû remarquer mes deux petits astérisques !
Dans cette méta-analyse, l'accent est mis sur les sous-groupes basés sur les troubles d’articulation (c’est-à-dire, des distorsions d’un même son, que ce soit lorsqu’il est produit seul, dans des mots ou dans des phrases, et qui sont généralement constantes, que l’enfant répète après quelqu’un, réponde à une consigne ou parle spontanément) et les troubles phonologiques (des erreurs typiques du développement persistant plus longtemps que prévu, soit par des erreurs plus inhabituelles qui ne font pas partie du développement typique), qui seront utilisés comme variables modératrices dans l’analyse. Cependant, de nombreuses études incluses ne distinguent pas clairement ces sous-groupes. De plus, les critères de classification varient d’une étude à l’autre et sont souvent plus souples que ceux des manuels diagnostiques. Et comme je l’ai dit plus haut… cette classification est très discutée et discutable (Rvachew & Matthews, 2024 je suis sympa je vous donne encore une autre référence sur le sujet).
Autre point qui me chiffonne, les auteurs excluent les enfants avec un TSP lié à un trouble de la planification et/ou de la programmation motrice sans fournir une justification sur ce choix. A retenir donc : les résultats ne concerneront que les enfants que l’on pouvait classer au moment de l’étude comme ayant des difficultés de production de la parole n’étant pas liés à un déficit de la programmation/planification motrice.
Question 1 : Les enfants d’âge préscolaire présentant un TSP montrent-ils des compétences langagières et en lecture plus faibles, à la fois au moment de l’évaluation et plus tard, comparativement à des enfants DT ? Quels sont les facteurs qui modèrent ces différences ?

En résumé, les études de comparaison de groupe entre DT et TSP montrent que les enfants DT ont tendance à avoir de meilleures compétences langagières et en lecture que les enfants TSP. La conscience phonologique apparaît comme un facteur modérateur central du lien entre parole et langage, ainsi qu’entre parole et lecture : plus la conscience phonologique est faible, plus les difficultés en langage oral et écrit sont marquées.
Question 2 : Chez les enfants DT, les compétences en production des sons de la parole à l’âge préscolaire sont-elles associées aux compétences langagières et en lecture, de manière simultanée et dans le temps ? Quels sont les facteurs qui modèrent ces relations ?

En résumé, les études corrélationnelles menées auprès d’enfants au DT montrent qu’il existe un lien positif entre les compétences en parole et celles en langage et en lecture, que ce soit dans des études transversales (prises à un instant donné) ou longitudinales (suivis dans le temps).
Les enfants présentant un TSP ont une tendance à avoir des compétences langagières et en lecture significativement plus faibles que les enfants DT dans les études comparatives. La différence entre les groupes est d'une ampleur modérée à importante, ce qui confirme les résultats d’études antérieures indiquant que les TSP peuvent être associés à des difficultés de langage/lecture et vice-versa (rappelez-vous : pas d’interprétation causale !).
Des études corrélationnelles menées chez des enfants DT montrent également une relation positive entre les compétences en production des sons de la parole et celles en langage oral et en lecture.
L’analyse souligne aussi que la conscience phonologique joue un rôle clé : plus les difficultés en conscience phonologique sont marquées, plus il y a un risque de présente des difficultés au niveau du langage ou de la lecture. Cela soutient l’idée que la production des sons de la parole, le langage, la conscience phonologique et la lecture sont liés.
Une limite de cette revue est le nombre insuffisant d’études pour analyser en détail les différents types de compétences en langage et en lecture en lien avec les compétences en parole. Par exemple, pour le langage oral, on peut supposer un lien différent entre les capacités en production de la parole avec le lexique passif ou la production morphosyntaxique. Ces questions restent en suspens.
De plus, la conception des études présentées ici ne permet pas de démêler les relations de causalité, autrement dit de répondre à des questions importantes, telles que : les difficultés de production des sons de la parole entraînent-elles des problèmes de conscience phonologique et par conséquent des difficultés en lecture ? Ou bien les compétences langagières sont-elles des variables confondantes sous-jacentes aux difficultés de production des sons de la parole, aux problèmes de conscience phonologique et aux difficultés en lecture ?
Pour mieux comprendre les liens de causalité, il faudrait des études longitudinales sur de jeunes enfants, avec des mesures régulières de toutes ces compétences et des études interventionnelles. Stay tuned !
Enfin les auteurs ont montré que certains résultats présentaient un biais de publication due aux petits échantillons. A l’avenir, un plus large échantillon serait nécessaire (mais ça coûte cher !).
Malgré ces limites, cette revue apporte des informations importantes. Elle confirme une relation claire entre la production des sons de la parole, la conscience phonologique, les compétences langagières, et la lecture. Sur le plan clinique, elle suggère qu’un TSP (de type trouble de l’articulation ou trouble phonologique) observées dès la maternelle peut indiquer un risque plus grand de présenter des difficultés langagières et/ou en lecture immédiatement ou ultérieurement.
Mais attention ! Il s’agit d’une tendance générale, tous les enfants TSP ne sont pas des enfants qui vont présenter des troubles du langage ou de la lecture. C’est un facteur d’alerte qu’il faut considérer avec les autres facteurs de risque. Il est bien connu désormais que c’est l’accumulation des facteurs de risque qui est un critère majeur et non un facteur isolé. Les difficultés de production de la parole étant facilement repérables, elles devraient être considérées comme signaux d’alerte justifiant une évaluation plus approfondie et, si besoin, des interventions précoces.
Cette méta-analyse met en lumière la grande complexité des liens entre la production des sons de la parole, le langage et le lecture et appelle à poursuivre les recherches.
Concrètement je vous propose ceci lorsque vous suivez un enfant (à risque de) TSP :
Réaliser une évaluation complète des processus de perception et de production de la parole Chercher les éventuels facteurs de risque et de protection pour le TDL et les difficultés du langage écrit (par exemple, les antécédents familiaux, le QI non verbal, le niveau d’éducation parentale, etc.) Ajouter l’évaluation de la conscience phonologique dans mon protocole d’évaluation car il s’agit d’un facteur modérateur important entre parole/langage et parole/lecture Interpréter les différents résultats obtenus sans réaliser de liens causaux non soutenus par les données de la recherche
Tous mes remerciements à Julie Cattini pour sa relecture attentive et ses suggestions.
Prenons le temps de préciser deux trois petits choses ensemble !
Les études de comparaison de groupe transversale kesdonc ?
Imaginez que l’on observe deux groupes d’enfants à un moment donné : ceux qui ont un TSP, et ceux qui n’en ont pas (DT). On compare alors leurs compétences en langage ou en lecture au même moment. C’est exactement ce que fait une étude transversale : une photo instantanée pour voir s’il existe une différence entre les deux groupes.
Et une étude de comparaison de groupe longitudinale alors ?!
Ici, ce n’est plus une photo, mais un petit film ! On suit les mêmes enfants pendant plusieurs années : par exemple, on repère ceux qui ont des difficultés de production de la parole à la maternelle et on regarde s’ils rencontrent plus de difficultés en lecture ou en langage plus tard, à l’école primaire.
Et le dernier ! Les études corrélationnelles !
Dans ce cas, on ne compare pas deux groupes. Ce sont des études qui examinent la relation entre deux ou plusieurs variables, sans manipulation de ces variables par le chercheur. Elle permet de déterminer si elles évoluent ensemble (positivement ou négativement) et avec quelle force.
Même si ces études montrent des liens entre les difficultés de production de la parole et celles du langage ou de la lecture, elles ne permettent pas de dire que l’une cause l’autre. C’est un peu comme remarquer que quand il pleut, les gens ont des parapluies : ce n’est pas le parapluie qui fait pleuvoir, bien sûr ! Autre exemple facile, corrélation positive entre le nombre de noyades en piscine et la consommation de glace mais ce ne sont pas les glaces qui causent les noyades !
Donc ici n’allez pas partager l’article de ce blog pour dire que ce sont les TSP qui causent des difficultés de lecture ou de langage ! Ce n’est pas la question ! Pour vraiment comprendre si les TSP entraînent directement des difficultés en lecture, il faudrait d’autres designs, avec des suivis très réguliers ou des interventions ciblées.
Introduction (parce que avant c'etait genre une mise au point)
Revenons-en à l’article.
Selon la définition de l’International Expert Panel on Multilingual Children’s Speech (2012) « les TSP concernent toute combinaison de difficultés de perception, d’articulation/ production motrice, et/ou de représentations phonologiques, au niveau des phonèmes (consonnes et voyelles), des informations phonotactiques (formes des mots et structures syllabiques), et/ou de la prosodie (tons lexicaux et grammaticaux, rythmes, accent et intonation) qui peut impacter l’intelligibilité ou l’acceptabilité de la parole ». Les TSP sont très fréquents chez les enfants d’âge préscolaire, et représentent l’un des principaux motifs de consultation en orthophonie dans cette tranche d’âge. Beaucoup d’études se sont intéressées au lien entre un TSP et les compétences langagières ainsi que les compétences futures en lecture mais aucune revue systématique ou méta-analyse n’a proposé une synthèse des données actuelles. Si le rôle de la conscience phonologique comme précurseur de la lecture est bien établi, il en est tout autre pour le lien entre les capacités en production de la parole et les compétences langagières (dont la conscience phonologique). Les résultats sont globalement inconsistants. S’il ne fait aucun doute que ce sont des construits différents, les études obtiennent des indices de corrélation très variables !
Doit-on considérer un TDSP comme un toboggan déboulant sur des troubles du langage oral et/ou écrit ? Est-ce un facteur de risque à considérer ? Est-ce un facteur causal ? (soyez attentifs ! on a dit tout à l’heure que l’on ne répondrait pas à cette question) Y-a-t-il d’autres variables à prendre en compte (la sévérité du TSP, l’âge, le QI non verbal, etc) ? Ou simplement il n’est pas nécessaire de s’inquiéter davantage ?
Questions de recherche
Cette méta-analyse cherche à répondre aux questions de recherche suivantes:
Les enfants d’âge préscolaire présentant un TSP montrent-ils des compétences langagières et en lecture plus faibles, à la fois au moment de l’évaluation et plus tard, comparativement à des enfants DT ?
Quels sont les facteurs qui modèrent ces différences ?
Ici, les auteurs vont utiliser les tailles d’effet des études de comparaison de groupe transversales et longitudinales !
Chez les enfants DT, les compétences en production des sons de la parole à l’âge préscolaire sont-elles associées aux compétences langagières et en lecture, de manière simultanée et dans le temps ?
Quels sont les facteurs qui modèrent ces relations ?
Et ici, ils vont utiliser les tailles d’effet des études corrélationnelles !
Avant d’aller plus loin… il va falloir que l’on aborde un petit point terminologique parce que de mon temps, on parlait encore de retard de parole, de trouble d’articulation etc.
Il y a un gros débat actuellement dans la littérature sur ces classifications des TSP ! Elles peuvent être basées sur une approche étiologique, une analyse comportementale ou encore une analyse des processus psycholinguistiques.
Pleiiiiiin de questions se posent ! Quelle classification est la plus pertinente ? Ces appellations sont-elles vraiment pertinentes ? La catégorisation est-elle stable dans le temps pour un même patient ?
Rappelez-vous quand on parlait de dysphasie sémantico-pragmatique ou la dysphasie phonologico-syntaxique ! Puis on a appris que ces sous-catégorisations n’étaient pas cliniquement pertinentes et que le profil de l’enfant variait au cours du temps. La solution désormais >>>> parler de TDL et décrire le profil de l’enfant !
Devinez quoi ! On en arrive au même questionnement pour le TSP ! D’ailleurs, c’est un peu pour ça que l’on parle de TSP, c’est un terme neutre, inclusif et unique. Le sujet vous intéresse ?
Vous avez différentes sources disponibles :
Le PowerPoint en français de Léonor Piron
L’article de Waring et Knight (2013) utilisé par les auteurs de la présente méta-analyse
Et plein d’autres en farfouillant !
Dans cette méta-analyse, les auteurs se basent sur la classification proposée par Waring et Knight (2013) :
Méthodologie (on va faire vite)
En premier lieu, les auteurs ont déposé le protocole de leur étude sur une plateforme en open access. Ca c’est trop trop trop bien car ça permet de favoriser la transparence du processus de traitement des données !
Ensuite, les auteurs ont réalisé une recherche des études primaires sur plusieurs bases de données (par exemple, Medline, PsycINFO, LLBA) et des sources permettant de couvrir la littérature grise (par exemple ProQuest Dissertation). Ils ont trouvé 1229 résultats mais il y avait 314 duplicatas (>>> poubelle !).
Ensuite, il a fallu trier les 915 études restantes. Pour intégrer les études dans la présente méta-analyse, il fallait que les études de comparaison de groupe répondent aux critères suivants : TSP âgés de 3 à 18 ans ; évaluation du langage oral et/ou de compétences en lecture ; design transversal ou longitudinal ; groupe DT apparié par l’âge ; exclusion bégaiement, fente palatine, bilingue et TSP d’origine motrice*.
Pour les études corrélationnelles, les critères étaient : DT âgés de 3 à 18 ans ; toutlerestepareil.
La sélection des articles a été réalisé par deux juges en aveugle par deux des auteurs pour 20% des études et ils ont obtenu un kappa de cohen de 0.77 (ça veut dire que c’est pas trop mal au niveau de l’accord entre eux ! en général on préfère un 0.80 pour ne pas réaliser toute la sélection à deux juges en aveugle). Au final ils ont sélectionné 52 études !
Après tout ce travail, il a fallu coder toutes les données des études. Pour notre santé mentale à tous et ma propre incompétence je ne vais pas détailler. Excepté un point… Les auteurs ont codé les facteurs modérateurs (c’est-à-dire les variables qui pourraient influencer l’intensité ou la direction du lien étudié). Ils ont considéré les variables suivantes : le type de TSP* (articulation, phonologie, les deux ou inconnu) ; la sévérité du TSP ; le QI non verbal ; l’âge ; l’année de publication et le pays de provenance de l’échantillon.
Si vous avez l’œil vif, vous avez dû remarquer mes deux petits astérisques !
Dans cette méta-analyse, l'accent est mis sur les sous-groupes basés sur les troubles d’articulation (c’est-à-dire, des distorsions d’un même son, que ce soit lorsqu’il est produit seul, dans des mots ou dans des phrases, et qui sont généralement constantes, que l’enfant répète après quelqu’un, réponde à une consigne ou parle spontanément) et les troubles phonologiques (des erreurs typiques du développement persistant plus longtemps que prévu, soit par des erreurs plus inhabituelles qui ne font pas partie du développement typique), qui seront utilisés comme variables modératrices dans l’analyse. Cependant, de nombreuses études incluses ne distinguent pas clairement ces sous-groupes. De plus, les critères de classification varient d’une étude à l’autre et sont souvent plus souples que ceux des manuels diagnostiques. Et comme je l’ai dit plus haut… cette classification est très discutée et discutable (Rvachew & Matthews, 2024 je suis sympa je vous donne encore une autre référence sur le sujet).
Autre point qui me chiffonne, les auteurs excluent les enfants avec un TSP lié à un trouble de la planification et/ou de la programmation motrice sans fournir une justification sur ce choix. A retenir donc : les résultats ne concerneront que les enfants que l’on pouvait classer au moment de l’étude comme ayant des difficultés de production de la parole n’étant pas liés à un déficit de la programmation/planification motrice.
Résultats:

En résumé, les études de comparaison de groupe entre DT et TSP montrent que les enfants DT ont tendance à avoir de meilleures compétences langagières et en lecture que les enfants TSP. La conscience phonologique apparaît comme un facteur modérateur central du lien entre parole et langage, ainsi qu’entre parole et lecture : plus la conscience phonologique est faible, plus les difficultés en langage oral et écrit sont marquées.

En résumé, les études corrélationnelles menées auprès d’enfants au DT montrent qu’il existe un lien positif entre les compétences en parole et celles en langage et en lecture, que ce soit dans des études transversales (prises à un instant donné) ou longitudinales (suivis dans le temps).
Discussion (Oui! La fin approche!)
Les enfants présentant un TSP ont une tendance à avoir des compétences langagières et en lecture significativement plus faibles que les enfants DT dans les études comparatives. La différence entre les groupes est d'une ampleur modérée à importante, ce qui confirme les résultats d’études antérieures indiquant que les TSP peuvent être associés à des difficultés de langage/lecture et vice-versa (rappelez-vous : pas d’interprétation causale !).
Des études corrélationnelles menées chez des enfants DT montrent également une relation positive entre les compétences en production des sons de la parole et celles en langage oral et en lecture.
L’analyse souligne aussi que la conscience phonologique joue un rôle clé : plus les difficultés en conscience phonologique sont marquées, plus il y a un risque de présente des difficultés au niveau du langage ou de la lecture. Cela soutient l’idée que la production des sons de la parole, le langage, la conscience phonologique et la lecture sont liés.
Limites
Une limite de cette revue est le nombre insuffisant d’études pour analyser en détail les différents types de compétences en langage et en lecture en lien avec les compétences en parole. Par exemple, pour le langage oral, on peut supposer un lien différent entre les capacités en production de la parole avec le lexique passif ou la production morphosyntaxique. Ces questions restent en suspens.
De plus, la conception des études présentées ici ne permet pas de démêler les relations de causalité, autrement dit de répondre à des questions importantes, telles que : les difficultés de production des sons de la parole entraînent-elles des problèmes de conscience phonologique et par conséquent des difficultés en lecture ? Ou bien les compétences langagières sont-elles des variables confondantes sous-jacentes aux difficultés de production des sons de la parole, aux problèmes de conscience phonologique et aux difficultés en lecture ?
Pour mieux comprendre les liens de causalité, il faudrait des études longitudinales sur de jeunes enfants, avec des mesures régulières de toutes ces compétences et des études interventionnelles. Stay tuned !
Enfin les auteurs ont montré que certains résultats présentaient un biais de publication due aux petits échantillons. A l’avenir, un plus large échantillon serait nécessaire (mais ça coûte cher !).
Conclusion
Malgré ces limites, cette revue apporte des informations importantes. Elle confirme une relation claire entre la production des sons de la parole, la conscience phonologique, les compétences langagières, et la lecture. Sur le plan clinique, elle suggère qu’un TSP (de type trouble de l’articulation ou trouble phonologique) observées dès la maternelle peut indiquer un risque plus grand de présenter des difficultés langagières et/ou en lecture immédiatement ou ultérieurement.
Mais attention ! Il s’agit d’une tendance générale, tous les enfants TSP ne sont pas des enfants qui vont présenter des troubles du langage ou de la lecture. C’est un facteur d’alerte qu’il faut considérer avec les autres facteurs de risque. Il est bien connu désormais que c’est l’accumulation des facteurs de risque qui est un critère majeur et non un facteur isolé. Les difficultés de production de la parole étant facilement repérables, elles devraient être considérées comme signaux d’alerte justifiant une évaluation plus approfondie et, si besoin, des interventions précoces.
Cette méta-analyse met en lumière la grande complexité des liens entre la production des sons de la parole, le langage et le lecture et appelle à poursuivre les recherches.
Et du coup j’en fais quoi de tout ça Fred ?
Concrètement je vous propose ceci lorsque vous suivez un enfant (à risque de) TSP :
Tous mes remerciements à Julie Cattini pour sa relecture attentive et ses suggestions.