Tags | neurologie, aphasie, AVC |
---|---|
Titre original | Inner Speech in Aphasia: Current Evidence, Clinical Implications, and Future Directions |
Auteurs | Famaa Mackenzie E., Turkeltaubb Peter E. |
Date de publication | 2020 |
Revue | American Journal of Speech-Language Pathology |
Lien Source | https://doi.org/10.1044/2019_AJSLP-CAC48-18-0212 |
Disclaimer: Toutes les références complémentaires incluses dans les articles sont des références issues de l’article initial que j’ai choisi d’inclure pour les personnes souhaitant aller plus loin dans leur recherche. Il ne s’agit pas d’articles que j’ai personnellement lus. Ces références complémentaires seront placées dans une bibliographie secondaire dans les prochains articles.
Disclaimer: je ne suis pas une pro de la neuro, ça fait même particulièrement longtemps que je n’ai pas mis le nez dans un article sur le sujet parce que je n’ai tout simplement aucun adulte dans ma patientèle. Cependant, je trouvais le sujet trop savoureux pour ne pas plonger dans cet article. N’hésitez donc pas à me faire remonter des erreurs terminologiques ou d'interpretation s'il y en a. On se souvient que je suis seule et pas infaillible! Enjoy!
Introduction
Un tiers des personnes victimes d’AVC souffrent d’aphasie avec les impacts qu’on connaît sur la qualité de vie (Berthier, 2005; Engelter et al., 2006; Hilari et al., 2010). Le symptôme le plus fréquent de l’aphasie est le manque du mot (Goodglass & Wingfield, 1997; Kohn & Goodglass, 1985; Laine & Martin, 2006; Maher & Raymer, 2004) mais on s’est peu penché sur l’impact de l’aphasie sur le monologue interne (MI) du patient. Vous savez de quoi je parle, la petite voix qu’on a dans la tête, qui nous rappelle des choses, commente ce qu’on voit , etc. Les patients décrivent souvent cette impression “d’avoir le mot dans le tête mais qu’il ne sort pas”, dans une étude, 75% des patients interrogés décrivaient ce symptôme (Fama et al., 2017). Ce discours nous indique que les patients considèrent donc que leur MI est performant.
Pour avoir une idée du processus sous-tendu dans le MI, on peut l’envisager dans le contexte de la dénomination orale (Voir Schéma) (Dell & O’Seaghdha, 1992; Dell et al., 1997; Goldrick & Rapp, 2007; Levelt et al., 1999; Walker & Hickok, 2016) et que la sensation de MI préservée nous montre que le processus de récupération lexical est préservé alors que le processus de production post-lexical est défaillant. Le processus de production post-lexical n’est donc pas essentiel à une expérience réussie de MI.
Il existe peut d’études sur le MI des patients aphasiques mais le but de cette revue de littérature est d’exposer les connaissances actuelles dans le domaine ainsi que de voir en quoi elles peuvent aider au diagnostic, à la prise en charge mais également comprendre kle vécu des patients aphasiques.
Le monologue interne du patient sain
Depuis que le monde est monde oui, enfin j’exagère peut etre un peu, on se pose la question du lien langage/pensée. Plus récemment, on a fait le lien du rôle du MI dans la mémoire de travail (Baddeley & Hitch, 1974) et dans l’apprentissage des langues (Vygotsky, 1962). Depuis, on a aussi associé le MI à de nombreuses tâches (raisonnement logique, lecture et fonctions exécutives) (Perrone-Bertolotti et al., 2014;Alderson-Day & Fernyhough, 2015).
Les auteurs vont s’intéresser aux bases neurologiques du MI.
Dans les études plus sérieuses, Oppenheim et Dell (2008) ont testé la lecture de pseudomots et de paires minimales avec des phonèmes proches. La conclusion fut que le MI était plus sujet aux biais lexical (lexicalisation d’un pseudo-mot) que des confusions phonémiques. Ces conclusions vont dans le sens des théories récentes selon lesquelles le MI ne serait pas totalement “articulé”, c'est -à -dire que le gros de la représentation phonologique serait post lexicale et se ferait au moment de l’output. Tu me suis? En fait, tu crois que tu dis des mots dans ta tête mais ce n'est pas tout à fait des mots entièrement articulés, c’est des images de mots et de concepts qui vont finir d’être “phonologisés” quand tu voudras les prononcer. (Goldrick & Rapp, 2007; Indefrey & Levelt, 2004).
Résultats de la revue de littérature
Maintenant qu’on sait un peu plus ce qu’est le MI, les auteurs vont voir la façon dont il a été étudié chez les patients aphasiques et notamment ces deux questions: le MI peut-il être préservé chez les patients aphasiques? et quelles sont les caractéristiques spécifiques du MI chez les patients aphasiques?
Si on considère le MI comme “la capacité à créer une représentation auditive du mot de façon silencieuse et la manipuler”, les études suivantes ont montré par des épreuves (jugement d’homophones) sa préservation dans les aphasies de conduction ou les atteintes motrices (Geva et al., 2011; Stark et al., 2017). En utilisant cette définition, on a aussi pu déterminer les atteintes du MI aux zones du Gyrus frontal inférieur gauche et au Gyrus supramarginal (Geva, Jones et al., 2011).
L’étude de Langland-Hassan et al. (2015) concernant des patients avec une atteinte du MI montrait qu’une atteinte du MI pouvait avoir lieu sans corrélation avec le degré d’aphasie et donc de façon isolée.
Ces études nous permettent d’avoir une mesure objective du MI, de sa localisation et de sa fonction sans biais de self-monitoring de la part du patient. Ben oui, le patient ne peut que te dire, “oui j’ai bien répondu dans ma tête” dans les autres types d’épreuves, va voir le diagramme plus haut
L’étude du symptôme “je l’ai sur le bout de la langue” je le trademark, ne vous inquiétez pas par Goodglass et al. nous permet d’aborder le vécu subjectif MI par le patient. L’idée du mot étant présent mais sa forme verbale non produite. Ce symptôme est présent dans une variété de types d’aphasie mais cependant plus présente chez les patients présentant une aphasie de conduction ou de Broca (Goodglass et al., 1976). Les différences de performance lors des épreuves lexicales chez les patients avec aphasie de Wernicke indiquent un mauvais self-monitoring “Si si, j’avais juste, je vous jure”. La corrélation entre capacité d’accès au lexique phonologique et la préservation du MI a été étudiée et confirmée par Fama, Snider et al. (2019). Retenez donc que le vécu d’un MI préservé est fortement corrélé à l’accès au lexique phonologique.
Discussion
C’est pas une vraie revue si on ne parle pas des biais et là, ben, il y en a potentiellement plein! La nécessité du self-monitoring pour les réponses dans l’expérience subjective du MI, les troubles de la compréhension des patients aphasiques, les biais de déclaration (certains patients seront très critiques de leurs performances et d’autres moins) ou encore, la capacités des patients aphasiques à détecter une erreur.
Le MI nous permet de juger de la préservation du lexique phonologique dans l’approche objective mais il nous permet aussi par l’approche subjective (donc quand le patient nous dit avoir le mot juste en MI) de faire des choix thérapeutiques. En effet, on ne propose pas la même approche à un patient ayant un manque du mot (ni MI ni production) et à un patient ayant le mot “sur le bout de la langue” (MI ok et production KO). Les auteurs suspectent que les seconds patients répondraient mieux aux protocoles habituellement proposés aux aphasies dites motrices (Farias, Davis, & Wilson, 2014; Wambaugh, West, & Doyle, 1998),
Un dernier point et à mon sens, le plus intéressant, serait de savoir dans quelle mesure le MI pourrait servir d’outil de généralisation des mots travaillés en rééducation. Une étude nous montre qu’il est possible d'entraîner un patient à produire lui même un indiçage phonologique en cas de manque du mot à l’écrit !!!(DeDe, Parris, & Waters, 2003). Ainsi, le MI pourrait servir d’outil d'entraînement à la généralisation si on entraîne le patient à l’utiliser comme un indiçage (ex: dites le mot dans votre tête ou dites le premier son du mot dans votre tête). Intéressant, non?