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En anglais, il y a une expression qui dit “when you assume, you make an ass out of you” En gros, si tu tires des conclusions ou tu t’attends à quelque chose sans preuves, tu finis souvent par avoir l’air con. On va voir si c’est vrai concernant les enfants bilingues alors!
TagsBilinguisme, TDL
Titre originalExploring Assumptions of the Bilingual Delay in Children With and Without Developmental Language Disorder
AuteursPeña Elizabeth D., Bedore Lisa M., Granados Vargasa Alejandro
Date de publication2023
RevueJournal of Speech, Language and Hearing Research
Lien Sourcehttps://doi.org/10.1044/2023_JSLHR-23-00117

Disclaimer: Toutes les références complémentaires incluses dans les articles sont des références issues de l’article initial que j’ai choisi d’inclure pour les personnes souhaitant aller plus loin dans leur recherche. Il ne s’agit pas d’articles que j’ai personnellement lus. Ces références complémentaires seront placées dans une bibliographie secondaire dans les prochains articles.


Introduction


Disclaimer: L’étude vient des Etats-Unis, donc tous les chiffres épidémiologiques les concernent.

Un enfant sur cinq est exposé à une autre langue que l’anglais et un enfant sur quinze répond aux critères du trouble développemental du langage (TDL).
Historiquement, les enfants bilingues étaient sur-diagnostiqués car les bilans et modèles diagnostics se basaient sur le développement de l’enfant monolingue fluent (Sullivan,
2011; Sullivan & Bal, 2013).
Actuellement, au contraire, on assiste à un sous-diagnostic car les intervenants vont s’attendre à un développement langagier différent chez l’enfant bilingue (Morgan et al., 2018). Les auteurs vont donc s’intéresser dans quelle mesure il y a effectivement un retard lié au bilinguisme chez l’enfant bilingue tout venant et l’enfant bilingue avec un TDL.

Les auteurs développent ensuite les aspects historiques du bilinguisme et le fait que le bilinguisme était vu comme une perte de chance dans les années 30, suite à une étude de Arsenian. Finalement, on s’est rendu compte dans les années 80 que son étude était toute pourrie et faussée mais le mal était fait. Les américains se sont rendus compte qu’on pouvait pas tester de la même façon le langage de l’enfant monolingue et bilingue et ont créé le test SPELT-2 (suite du 1) qui tient compte des pronoms personnels spécifiques, de la syntaxe etc. Globalement, les orthophonistes continuent de tester les enfants bilingues avec des bilans normés pour les enfants monolingues. Mais que faire!?

  • La dominance langagière

  • Dans un temps fort lointain, on cherchait la langue dominante par des petits tests de-ci de-là afin de bilanter dans la langue dominante. HORS, la notion de dominance mixte est venue bousculer tout cela. Je vous fais un petit exemple: un enfant peut avoir plus d'occurrences langagières dans une langue A mais avoir un meilleur score syntaxique dans la langue B.
    Seuls 39% des enfants avaient des scores harmonieux entre dominance et performances alors que les autres étaient +/- performants selon la tâche (Peña et al., 2020), la dominance mixte concernerait environ les ⅔ des enfants bilingues.

  • La sous-identification des TDL et les attentes de “retard bilingue”

  • Historiquement sur-diagnostiqués, les enfants bilingues sont maintenant sous-identifiés lors qu’ils présentent les symptômes de TDL notamment car les intervenants vont mettre leur retard sur le dos du mythique “retard bilingue” (Morgan et al., 2015). ou bilingual delay, ma traduction est très moche mais je vous rappelle qu’il est 5h du mat et que je fais ça gratos
    Il y a une pensée persistante qui fait qu’on s’attend à ce qu’un enfant bilingue parle plus tard qu’un enfant monolingue. Par exemple, des infirmières scolaires Suédoises retardaient les bilans de dépistage langagier des enfants bilingues pensant bien faire (Nayeb et al., 2015).
    On constate effectivement un retard de développement des structures langagières chez les enfants bilingues mais le type et le domaine des retards va dépendre de la langue, du pourcentage d’exposition à la langue, etc.(Fitton et al., 2019).

    ((Je rajoute mon petit grain de sel afin qu’on comprenne un peu mieux mon propos. Une étude récente a montré que lors d’une situation de jeu partagé les mamans américaines avaient tendance à renforcer et valoriser les compétences narratives de l’enfants alors que les mamans Thai insistaient sur le vocabulaire. Rochanavibhata et Marian, 2021))

    Contrairement à ce qu’on a pu penser par le passé, le bilinguisme n'entraîne pas plus de chances de développer un TDL (Lugo-Neris, Bedore,& Peña, 2015; Lugo-Neris, Peña, et al., 2015; Salameh et al., 2002).
    Toutes ces croyances ont mené à un sous-diagnostic récent des TDL chez les enfants bilingues. Hors, si on teste les deux langues, on constate des difficultés “harmonieuses” touchant les deux langues chez les enfants TDL.
    Les deux questions principales auxquelles vont essayer de répondre les auteurs:

    Dans quelle mesure, observe-t-on un pattern de dominance mixte chez les enfants bilingues avec ou sans TDL?
    Quelles sont les performances en sémantique et morphosyntaxe des enfants avec ou sans TDL dans leur langue dominante?

    L’étude


    Les auteurs ont fait une analyse de trois études comprenant environ 600 enfants américains bilingues espagnols entre 5 et 12 ans. Ils ont ensuite déterminé le statut langagier de l’enfant (typique ou TDL) en utilisant des batteries que ça ne sert à rien que je vous les cite là, ainsi que des interviews des parents et des enseignants concernant les usages langagiers.
    Les auteurs ont également calculé le pourcentage d’exposition aux langues entre l’école et la maison, la moyenne étant 46.4% d’exposition à l’Anglais (input et output) et 53.6% d’exposition à l’Espagnol (input et output).
    ((Vraiment si tout le process de l’étude vous intéresse, allez directement à la source, je sais, je radote mais c’est important))

    Résultats


  • La dominance mixte tu sens que les auteurs y tiennent

  • La langue dominante a été déterminée par celle ayant le meilleur score en morphosyntaxe et sémantique (ils parlent de lexique là?). La dominance mixte correspond à un enfant ayant un meilleur score dans un domaine dans la langue A et dans un autre domaine dans la langue B.
    Les enfants typiques avaient une plus grosse chance d’avoir comme langue dominante l’Espagnol s’ils avaient été peu exposés à l’Anglais jusque-là rien de révolutionnaire. Mais cette dominance peut rester la même en allant jusqu’à 60% d'exposition à l’Anglais pour les enfants typiques (entre 10% et 60%). A l’inverse, la probabilité de dominance espagnole chez les enfants TDL atteint un pic à 55% d’exposition à l’Anglais (vs 10% chez les enfants typiques).
    Concernant la dominance mixte, on constate des profils inverses, en effet la dominance mixte aura tendance à baisser chez les enfants typiques avec le taux d’exposition à l’anglais (en effet, une langue va prendre le dessus en compétence) alors que le taux de dominance mixte va augmenter chez les enfants TDL avec des courbes qui se croisent à environ 80% d’exposition à l’anglais. Il est donc d’autant plus important de tester les deux langues et de tenir compte de ces scores. L'enfant TDL met donc plus de temps à utiliser et devenir efficace dans la seconde langue.



  • Les modèles de performance en Espagnol, Anglais et “meilleure langue”

  • En lexique, le score de la meilleure langue n’est pas affecté par le taux d’exposition que ce soit chez les enfants typiques ou TDL. Donc un enfant TDL ne deviendra pas meilleur dans sa langue dominante si on baisse le taux d’exposition de l’autre langue (pareil pour les enfants typiques mais eux on s’en fout un peu).
    Concernant la morphosyntaxe, il en va de même mais pls doucement, on note également que le score de performance augmentera avec l'exposition à la langue de façon significative.



    Discussion


    On oublie donc l’idée que le bilinguisme aggrave la situation des enfants avec un TDL.
    On voit que les profils de dominance mixte sont les mêmes chez les enfants TDL et tout venant avec cependant comme nuance le taux d’exposition à l’Anglais.
    La probabilité de dominance mixte évolue comme une fonction avec le taux d’exposition à l’anglais chez l’enfant typique.
    Chez l’enfant TDL, la variabilité est plus importante et peut apparaître avec une exposition plus faible à l’anglais.
    Les modèles de performances dans les deux domaines montrent que les scores en morphosyntaxe prennent légèrement plus de temps à augmenter chez les enfants TDL que les performances en lexique. Les auteurs en arrivent à la conclusion que les enfants TDL prennent plus de temps à maîtriser la morphosyntaxe de l’anglais.
    On note également que les progrès sont significatifs dans tous les domaines à partir où les taux d’exposition augmentent, ce qui encourage un travail de stimulation de toutes les langues chez l’enfant TDL.

    La conclusion des auteurs est donc qu’il n’y a pas de risque accru de TDL chez les enfants bilingues ni de réels “retard bilingue” si on prend en compte les deux langues et la notion de dominance mixte. On comprend, en tant que thérapeuthes, la difficulté de tester les deux langues de façon fine et donc de poser un diagnostic. Encore une fois, c’est là que l’anamnèse peut être intéressante et notamment les questions concernant le taux d’exposition aux langues ainsi que le début d’exposition. L’importance de la dominance mixte chez les enfants TDL doit également être prise en compte car elle sera d’autant plus prégnante chez eux.