Tags | bégaiement, invité, trouble de la fluence, dysfluences |
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Titre original | Stuttering as a spectrum disorder: A hypothesis |
Auteurs | SheikhBahaei Shahriar, Millwater Marissa, Maguire Gerald A. |
Date de publication | 2023 |
Revue | Current Research in Neurobiology |
Lien Source | https://doi.org/10.1016/j.crneur.2023.100116 |
Dans le domaine des troubles neurodéveloppementaux, les choses changent à mesure que les verrous socio-culturels se relâchent autour de la notion du handicap. De plus en plus, les recommandations internationales nous invitent à considérer le profil de nos patients selon un spectre de manifestations et d’effets plutôt que selon une qualification nosologique donnée. Et dans le domaine du bégaiement, c’était quelque chose qui nous pendait au nez mais qu’il restait à faire. Et c’est donc chose faite.
L’article s’intitule “Stuttering as a spectrum disorder: A hypothesis”, et a été publié par Sheikbahaei, Millwater et Maguire le 1er novembre 2023 dans Current Research in Neurobiology. Et on aurait pu s’attendre à plutôt lire un truc sur le bégaiement dans… Journal of Fluency Disorder, par exemple, non ? (ou Journal of Communication Disorder, je ne suis pas sectaire). Mais ce n’est ni un hasard ni une erreur, et le dernier nom sur la liste des auteurices devrait vous orienter car Maguire n’est autre que le chercheur à la pointe sur la question des traitements médicamenteux du bégaiement. Et son expertise sur le sujet est immense. Pas pour comparer avec ses co-auteurices mais bon. Maguire quoi. Le monstre.
Ce papier de 4 pages et demi, très bien structuré et très facile à lire, part d’une question assez simple : pourquoi les traitements du bégaiement sont testés sur des populations « qui bégaient » censées être typiques alors que toutes les preuves scientifiques récentes en neurologie, biologie, génétique, psychologie,… nous invitent à considérer le bégaiement selon des étiologies nombreuses, variées, d’incidence et de sévérité variables ?
Déjà, il est difficile de comparer le bégaiement de l’enfant avec celui de l’adulte. L’incidence du bégaiement chez l’enfant d’âge préscolaire est nettement supérieure à celle chez l’adulte (de 5 à 10%, contre seulement 1%) mais se trouve très fréquemment être associée à d’autres besoins en termes de parole, langage et communication. Dans un contexte d'importantes pressions développementales que connaît l’enfant avant sept ans, il est souvent pertinent de questionner qui de l’œuf ou de la poule entre la fluence et les compétences expressives et/ou attentionnelles.
Mais restons simples et concentrons-nous uniquement sur le bégaiement neurodéveloppemental chez l’adulte. Et bien c’est encore raté, parce qu’ici aussi la variabilité inter et intra-individuelles est littéralement la norme. Le bégaiement est un trouble fluctuant selon l’heure, le jour, la couleur du ciel ou la vitesse des escargots… certaines variables identifiables, d’autres moins. La recherche en neuroimagerie n’a pas apporté plus de certitude. On a pu observer, et ce dès les âges précoces, des variations de structures au niveau neuroanatomique entre les personnes fluents et disfluentes, mais encore une fois le biais potentiel de recrutement associé au très faible nombre de sujets inclus dans ces études rend difficilement généralisable les découvertes. En tout cas en attente de confirmation auprès d’autres groupes jusqu’ici exclus des cohortes. La pharmacopée donne d’excellents résultats… mais uniquement sur certains groupes très restreints de personnes qui bégaient, partageant généralement des mutations génétiques communes. Là encore, difficile de généraliser, même si la réponse au traitement médicamenteux permet de pouvoir observer les modulations des systèmes qui gèrent la fluence. En bref, difficile à la fois de qualifier de manière formelle le bégaiement chez un individu (au point qu’il n’existe d’ailleurs pas de définition consensuelle internationale du bégaiement) mais aussi de trouver des causes neuro-anatomo-fonctionnelles communes qui fourniraient une explication généralisable à toutes les situations de disfluence.
Les auteurices font d’ailleurs une revue des trois causes potentielles soutenues par la recherche, aucune n’étant exclusive des autres et toutes représentant des pistes à explorer, mais qui donnent des résultats encourageants :
La voie de ciblage des enzymes lysosomales Quatre gènes (avec des noms pas prononçables) sont identifiés comme associés au bégaiement. Ils participent au traitement des déchets au niveau intracellulaire et leur mutation peut entraîner une accumulation de protéines mal dégradées dans certaines zones spécifiques du cerveau, entraînant des variations anatomiques et fonctionnelles. En 2016, des scientifiques ont fait joujou avec le cerveau d’une souris et ont réussi à la faire bégayer… Ces andouilles… Oui oui, ils ont fait produire aux couinements d’une souris des disfluences similaires à celles qui touchent la parole humaine. Mais au-delà de ces quatre gènes identifiés, on connait plusieurs autres mutations dont les effets ne ciblent pas les mêmes voies métaboliques mais provoquent tout de même des atypies de fluidité verbale, ce qui renforce l’idée d’une origine multiple du bégaiement.
La dopamine Le lien entre le circuit dopaminergique des ganglions de la base et le bégaiement n’est pas une nouveauté, il est connu depuis plus de 20 ans. Ce circuit participe à la régulation et à l’ajustement moteur, ainsi qu’à la motivation, à l’initiation de l’action et à la sociabilité. On retrouve généralement une situation d’hyperactivité de cette boucle, avec un excès de dopamine. Mais d’autres situations de bégaiement chez l’adulte présentant un déficit de dopamine ont montré une réponse thérapeutique très encourageante en associant traitement médicamenteux et orthophonie.
La réponse autoimmune Ca c’est le truc qui m’a le plus bluffé… Attachez-vous bien : les très jeunes enfants infectés par un certain groupe de streptocoque beta-hémolitique (GAS) peuvent manifester des troubles de la fluidité verbale consécutifs. L’explication neurofonctionnelle est connue : la réponse des anticorps aux GAS perturbe le circuit dopaminergique des ganglions de la base. Per Alm en 2020 a mis en lumière que les campagnes de vaccination et de traitement contre le GAS pouvaient être significativement associées à une réduction consécutive des cas de bégaiement chez l’enfant d’âge préscolaire.
Tous ces éléments amènent les auteurices à l’hypothèse suivante : serait-y-donc-pas-que-le-bégaiement-ce-serait-aussi-un-spectre-comme-tout-plein-d’autres-situations-elles-aussi-sur-un-spectre-et-que-même-que-on-sait-qu’il-y-a-des-correspondances-génétiques-fortes-entre-toutes-ces-différentes-neuroatypies ? Hein ? Des fois ?
Considérer le bégaiement comme une entité monolithique avec une définition carrée et des symptômes précis, c’est complètement 2022. A la fois d’un point de vue clinique, scientifique, neurologique, biologique, et même psycholinguistique, le bégaiement est un spectre multiple, une variété considérable de profils qui partagent une fluidité verbale qui sort de la norme. Nos évaluations comme nos traitements doivent être personnalisés et adaptés aux profils spécifiques de nos patients parce que, si nous n’avons pas une IRM systématiquement sous la main (des fois on le prête aux copines, ça arrive), nous avons accès à des informations cliniques et paracliniques qui nous permettent, à partir des comportements observables, de formuler des hypothèses explicatives et proposer les solutions les plus adaptées. Et dans le champ de la recherche, la bascule du bégaiement comme un spectre implique aussi des changements profonds, avec une remise en question de la pertinence de ne conserver que les populations « pures » dans les études, voire même de leur simple existence.
Eh ! J’ai une idée, comme ça.. un truc… et si on supprimait juste « bégaiement » et « bredouillement » de notre vocabulaire et qu’on commençait à parler de Troubles du Spectre de la Fluence (TSF) ?
Pfiou. C’est comme se tenir au bord d’une falaise… c’est vertigineux mais fascinant.
L’article s’intitule “Stuttering as a spectrum disorder: A hypothesis”, et a été publié par Sheikbahaei, Millwater et Maguire le 1er novembre 2023 dans Current Research in Neurobiology. Et on aurait pu s’attendre à plutôt lire un truc sur le bégaiement dans… Journal of Fluency Disorder, par exemple, non ? (ou Journal of Communication Disorder, je ne suis pas sectaire). Mais ce n’est ni un hasard ni une erreur, et le dernier nom sur la liste des auteurices devrait vous orienter car Maguire n’est autre que le chercheur à la pointe sur la question des traitements médicamenteux du bégaiement. Et son expertise sur le sujet est immense. Pas pour comparer avec ses co-auteurices mais bon. Maguire quoi. Le monstre.
Ce papier de 4 pages et demi, très bien structuré et très facile à lire, part d’une question assez simple : pourquoi les traitements du bégaiement sont testés sur des populations « qui bégaient » censées être typiques alors que toutes les preuves scientifiques récentes en neurologie, biologie, génétique, psychologie,… nous invitent à considérer le bégaiement selon des étiologies nombreuses, variées, d’incidence et de sévérité variables ?
Déjà, il est difficile de comparer le bégaiement de l’enfant avec celui de l’adulte. L’incidence du bégaiement chez l’enfant d’âge préscolaire est nettement supérieure à celle chez l’adulte (de 5 à 10%, contre seulement 1%) mais se trouve très fréquemment être associée à d’autres besoins en termes de parole, langage et communication. Dans un contexte d'importantes pressions développementales que connaît l’enfant avant sept ans, il est souvent pertinent de questionner qui de l’œuf ou de la poule entre la fluence et les compétences expressives et/ou attentionnelles.
Mais restons simples et concentrons-nous uniquement sur le bégaiement neurodéveloppemental chez l’adulte. Et bien c’est encore raté, parce qu’ici aussi la variabilité inter et intra-individuelles est littéralement la norme. Le bégaiement est un trouble fluctuant selon l’heure, le jour, la couleur du ciel ou la vitesse des escargots… certaines variables identifiables, d’autres moins. La recherche en neuroimagerie n’a pas apporté plus de certitude. On a pu observer, et ce dès les âges précoces, des variations de structures au niveau neuroanatomique entre les personnes fluents et disfluentes, mais encore une fois le biais potentiel de recrutement associé au très faible nombre de sujets inclus dans ces études rend difficilement généralisable les découvertes. En tout cas en attente de confirmation auprès d’autres groupes jusqu’ici exclus des cohortes. La pharmacopée donne d’excellents résultats… mais uniquement sur certains groupes très restreints de personnes qui bégaient, partageant généralement des mutations génétiques communes. Là encore, difficile de généraliser, même si la réponse au traitement médicamenteux permet de pouvoir observer les modulations des systèmes qui gèrent la fluence. En bref, difficile à la fois de qualifier de manière formelle le bégaiement chez un individu (au point qu’il n’existe d’ailleurs pas de définition consensuelle internationale du bégaiement) mais aussi de trouver des causes neuro-anatomo-fonctionnelles communes qui fourniraient une explication généralisable à toutes les situations de disfluence.
Les auteurices font d’ailleurs une revue des trois causes potentielles soutenues par la recherche, aucune n’étant exclusive des autres et toutes représentant des pistes à explorer, mais qui donnent des résultats encourageants :
Tous ces éléments amènent les auteurices à l’hypothèse suivante : serait-y-donc-pas-que-le-bégaiement-ce-serait-aussi-un-spectre-comme-tout-plein-d’autres-situations-elles-aussi-sur-un-spectre-et-que-même-que-on-sait-qu’il-y-a-des-correspondances-génétiques-fortes-entre-toutes-ces-différentes-neuroatypies ? Hein ? Des fois ?
Considérer le bégaiement comme une entité monolithique avec une définition carrée et des symptômes précis, c’est complètement 2022. A la fois d’un point de vue clinique, scientifique, neurologique, biologique, et même psycholinguistique, le bégaiement est un spectre multiple, une variété considérable de profils qui partagent une fluidité verbale qui sort de la norme. Nos évaluations comme nos traitements doivent être personnalisés et adaptés aux profils spécifiques de nos patients parce que, si nous n’avons pas une IRM systématiquement sous la main (des fois on le prête aux copines, ça arrive), nous avons accès à des informations cliniques et paracliniques qui nous permettent, à partir des comportements observables, de formuler des hypothèses explicatives et proposer les solutions les plus adaptées. Et dans le champ de la recherche, la bascule du bégaiement comme un spectre implique aussi des changements profonds, avec une remise en question de la pertinence de ne conserver que les populations « pures » dans les études, voire même de leur simple existence.
Eh ! J’ai une idée, comme ça.. un truc… et si on supprimait juste « bégaiement » et « bredouillement » de notre vocabulaire et qu’on commençait à parler de Troubles du Spectre de la Fluence (TSF) ?
Pfiou. C’est comme se tenir au bord d’une falaise… c’est vertigineux mais fascinant.