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Voici la première partie d'un article qui vous exposera en détails, pourquoi le bilan de l'enfant bilingue est si compliqué. Pas de panique, il y aura quelques pistes de reflexion mais le gros des solutions arrivera la semaine prochaine! Enjoy!
Tagsbilinguisme, TDL, EBP
Titre originalDeveloping Evidence-Based Assessment to Prevent Over- or Underidentification of Disorders for New Language Learners
AuteursLevey Sandra, Cheng Li-Rong Lilly, Almodovara Diana
Date de publication2020
RevuePerspectives of the ASHA Special Interest Groups
Lien Sourcehttps://doi.org/10.1044/2020_PERSP-19-00115

Disclaimer: Toutes les références complémentaires incluses dans les articles sont des références issues de l’article initial que j’ai choisi d’inclure pour les personnes souhaitant aller plus loin dans leur recherche. Il ne s’agit pas d’articles que j’ai personnellement lus. Ces références complémentaires seront placées dans une bibliographie secondaire dans les prochains articles.


Avec le nombre croissant de migration de populations, nous allons être de plus en plus amenées à recevoir des enfants issus de ces mouvements, donc soyons préparées! Pour un premier plongeon dans le sujet, je vous conseille de retourner vers mon article précédent sur le sujet >recherche>bilinguisme.

Avant tout choses, pour pouvoir prendre en charge une personne bilingue (ou plus de lingues), il faut comprendre les variables culturelles associées. L’absence de sensibilité culturelle amène au sur et au sous diagnostic des TDL. Il faudra donc tenir compte de variables comme l'âge, l’éthnicité, l’identité de genre, la culture, le dialecte, le statut de citoyenneté, le statut socio-économique, la religion, l’orientation sexuelle…
En plus de toutes ces variables, il faudra aussi se rappeler de l’impact de notre propre culture et de nos propres biais sur nos observations. Alors ça c’est un sujet qui m’intéresse énormément donc attendez vous à plus d’articles sur le sujet

On sait maintenant que le volume d’exposition aux langues a plus d’impact que l'âge d’exposition à la nouvelle langue (Thordardottir, 2019). Le bilinguisme est un continuum , un enfant pourra avoir des compétences supérieures dans un domaine langagier dans une langue et ces compétences s'inverser avec le temps. Voir la notion de dominance mixte dans mon précédent article.

Le plus difficile quand on aborde le bilan de la personne bilingue est de faire le tri entre la différence et le trouble. Pour bien faire, il faut explorer les différents domaines langagiers pour y retrouver les forces et les déficits de l’enfant. Nous allons donc explorer ces domaines et comment les évaluer.

Les domaines linguistiques à explorer dans le bilan de la personne bilingue/multilingue




  • Le vocabulaire ou sémantique

  • On ne peut pas apprendre un mot auquel on n’est pas confronté, logique? Une étude a montré que les enfant chypriotes typiques avaient tendance à produire des phrases aux épreuves de dénomination d'action (taper un clou avec un marteau au lieu de marteler) alors qu’ils étaient plutôt performants en dénomination d’objets. Donc si vous avez un petit chypriote qui vient et qui a du mal à dénommer des verbes…
    La similitude de termes dans deux langues peut créer des confusions chez l’enfant. Large en anglais veut dire plus grand que la moyenne alors si on demande à un enfant bilingue anglais, “montre moi l’objet le plus large” et qu’il montre celui qui est long…
    Les auteurs pointent également qu’une grammaire très riche et complexe peut influencer le développement du vocabulaire. Dans ces langues, (comme le français) le vocabulaire se développe un peu moins vite que dans les langue ayant une grammaire plus simple.
    Et évidemment, la culture va avoir un impact sur la connaissance des objets (dixit les chercheurs américains qui montraient une balle de baseball à des petits africains en mode “what, tu connais pas le baseball?”)

    Mais comment évaluer le vocabulaire des enfants bilingues, alors!? On sait que les enfants bilingues ont des scores sous la moyenne en dénomination, en revanche ces différences s’estompent sur les épreuves de vocabulaire conceptuel. On parle ici des épreuves où on active le réseau sémantique autour du mot. Lors de ces épreuves, on acceptera les mots de toutes les langues, s’ils sont en lien avec le mot. (ex: pour balle, l’enfant va dire “grande”, “rosa”, “ronde”, “striped”, on compte 4 points)

  • La morphologie

  • Celle-là, c’est un sacré morceau!
    Les langues ont des constructions morphologiques différentes et complexes.
    La morphologie islandaise est beaucoup plus riche que celle de l’anglais et constitue un point d’apprentissage important de la langue. Une étude (Thordardottir, 2008) a montré qu’un déficit de la morphologie dérivationnelle était présente chez les enfants anglais avec TDL mais il n’en était pas de même chez les enfants TDL islandais qui gardaient de bonnes capacités en morphologie grammaticale.
    L’article continue avec de nombreux exemples pour illustrer le fait que les variations morphologiques sont extrêmement nombreuses et fines selon les langues et peuvent ou peuvent ne pas constituer un signe d’appel d’un TDL.

    L’usage des morphèmes grammaticaux anglais reste un bon indicateur de TDL à partir du moment où l’enfant est exposé, au moins à 40% d’anglais. Si cela n’est pas le cas, on peut s’appuyer sur l’anamnèse et les résultats scolaires.

  • La syntaxe

  • Certaines langues n’utilisent pas les pronoms personnels (ex: italien et espagnol), un enfant bilingue francais-italien aura donc tendance à omettre les pronoms personnels sans que cela ne soit indicateur d’un TDL (Stubbe Kester & Gorman, 2003).
    La saillance phonétique de la flexion peut constituer un critère important pour son âge d’acquisition (Bedore & Pena, 2008), le phonème /t/ ajouté au verbes au passé en anglais est moins saillant que que le /o/ de l’espagnol. Les auteurs ont constaté que les formes du passé sont utilisées en moyenne dès 3 ans chez les enfants espagnols versus 4 ans chez les enfants anglais.

    Au niveau diagnostic, on peut garder en tête que les enfants TDL auront une longueur moyenne d’énoncé plus courte que les enfants tout venant, quelle que soit leur langue (Hasson et al., 2013). Une évaluation dynamique de la longueur des énoncés est indiquée, on peut aussi s’intéresser à la variété des mots produits spontanément (pas en dénomination mais en langage spontané).

  • La phonologie

  • Evidemment, tous les phonèmes de la langue française ne sont pas présents dans les autres langues et vice-versa. Les enfants apprenant une nouvelle langue doivent donc apprendre ces nouveaux phonèmes et il ne faut pas considérer comme pathologique le fait qu’ils remplacent un phonème proche d’une langue par celui de sa langue dominante (Goldstein & Fabiano, 2007), ces variations sont particulièrement importantes avant 5 ans.

    Un trouble phonologique sera présent dans toutes les langues parlées par l’enfant et il faudra donc évidemment toutes les tester. Ne tester que la nouvelle langue est corrélé avec un fort taux de faux positifs. De plus, l’alliance thérapeutique est plus forte avec les familles quand le clinicien prend le temps de s’intéresser à la langue maternelle de l’enfant. L’anamnèse est encore une fois cruciale.

    Un bilan de la phonologie commence par un examen oro-myo-fonctionnel et un test de la discrimination auditive. L’idéal, par la suite, serait de faire un échantillon langagier dans les deux langues et de vérifier la présence et l’absence de phonèmes ainsi que leur placement. Le plus important est d’identifier les phonèmes présents et absents dans la langue dominante qui auront une influence sur les phonèmes de la seconde langue.
    Un test standardisé est possible mais sera moins fin car, souvenez vous, les enfants bilingues ne sont pas inclus dans la population test. En revanche, on peut les utiliser comme outils d’évaluation routinière.

  • La narration

  • Les styles de narration et leurs structures varient entre les langues, les dialectes et même les cultures (Bliss et McGabe, 2011). En effet, dans les cultures hispaniques par exemple, il est très courant de se focaliser beaucoup plus sur les relations interpersonnelles, le contexte…
    Les enfants afro-americains ont des styles de narration où les changements de personnages, les lieux et les moments sont signalés par des changements dans la hauteur et le tempo de la voix (Bliss et McGabe, 2011).
    La narration des enfants d’origine coréenne, chinoise et japonaise est caractérisée par sa brièveté (Minami et McGabe, 1996).

    La narration reste un bon outil d’évaluation clinique du langage de l’enfant. Pour les plus petits ou les enfants avec peu de langage, on peut proposer de raconter une histoire précédemment lue par le clinicien (Petersen et Spence, 2012).
    On peut aussi demander aux enfants plus grands de raconter une histoire sur le même thème que celle lue (Bliss et McGabe, 2012), il faut cependant travailler en amont le vocabulaire lié au texte.
    On peut aussi donner un livre sans image à l’enfant et lui demander de raconter celui-ci.
    L’intéret de ces exercices sera d’avoir des échantillons conversationnels afin de mesurer le nombre de mots différents, la longueur moyenne des énoncés, l’utilisation de mots de liaison… Enfin tout ce qui vous chante mais ne soyez pas trop vite à juger!

    L’utilisation d'interprètes en situation de bilan


    L’ASHA conseille la présence d’une personne tierce parlant la langue dominante de l’enfant si l’orthophoniste ne la comprend pas. Il peut s’agir d’une traduction en temps réel ou différée. En gros, on peut avoir besoin d’aide mais les familles peuvent prodiguer cette aide.

    Je vais faire une petite pause dans cet article déjà très très long et vous proposer de garder les méthodes d’évaluation de l’enfant bilingue pour un prochain article. Je ne sais pas vous, mais moi j’ai appris énormément de choses.