Il fût un temps fort fort lointain, où j’étais une jeune et frétillante orthophoniste (rassurez-vous, je suis toujours frétillante, juste beaucoup moins jeune), ma première maître de stage s’appelait Mme Schmitt (je mens, elle ne s’appelait pas comme cela). Cette bonne dame était d’une espèce en voie de disparition, les orthophonistes Chassagny.
/Petite parenthèse historique: il fût un temps où les écoles de formation Chassagny produisaient des orthophonistes avec pour seul domaine de compétence de langage écrit. Ce fut court, ce fut intense, ce fut fini et ce fut tant mieux. /
Je l'écoutais souvent d’une oreille distraite mais un jour, après m’avoir longuement observée alors que j'enchainais les patients, elle eut cette phrase: “Frédérique, tu ne feras jamais d’un canasson, un cheval de course. Tu vas t’épuiser”. Ne me demandez pas pourquoi, cette phrase est restée, elle a résonné.
Enfin si, demandez moi!
Est-ce que j’essayais de vider la mer avec une petite cuillère? Est ce que j’essayais de changer des choses impossibles à changer? Et est-ce que dans ce processus, je ne faisais pas plus de mal que de bien?
Ma réponse, je l’ai eu quelques mois plus tard. Une petite fille porteuse de déficience intellectuelle, un exercice pas du tout dans sa zone proximale de développement et ma tête dépitée quand elle échoue. La petite fond en larmes et je fonds de honte. A vouloir trop la tirer vers le haut, je ne faisais que la confronter à ses échecs, présents et futurs.
Je mentirai si je disais que c’est à ce moment-là que j’ai eu un déclic. On ne fonctionne pas comme cela, c’était un début de clic?
Il n’y a pas de chevaux de courses et de canassons! Il y a une multitude de poulains ayant tous la même valeur intrinsèque et nous devons les accompagner sur leur chemin pour devenir le cheval qu’ils veulent être. Je crois que je suis arrivée au bout, la métaphore s'essouffle!
J’ai pourtant continué à faire des erreurs. Dans la prise en charge de la personne autiste, je tentais d’appliquer mes objectifs de personne typique à une personne neuro divergente. Il est impossible de “neuro converger” mais j’essayais et ce faisant, je fonçais dans des murs et faisais des dommages au passage. Les neurotypiques verbalisent, ils n’ont pas les mêmes stratégies de régulation, le contact visuel est nécessaire aux interactions… Est-ce une meilleure façon de faire ou juste UNE façon de faire?
Souvent, en tant que rééducateurs, nous prenons projet thérapeutique ce que nous imaginons être leurs besoins et objectifs. Sommes-nous capables d’entendre qu’une personne porteuse de handicap accorde une valeur neutre à son handicap et ne cherche pas à le surmonter à tout prix? Que les objectifs du patients et de sa famille ne soient pas conformes avec ceux que nous avions envisagés? Comme me le disait une personne vaguement sage : “Tu n’es pas meilleure que tes patients, tu es là pour les emmener sur le chemin de l’auto-détermination et de la valorisation de soi.” et ce chemin ne nous appartient pas, nous ne sommes que les accompagnateurs.
/Petite parenthèse historique: il fût un temps où les écoles de formation Chassagny produisaient des orthophonistes avec pour seul domaine de compétence de langage écrit. Ce fut court, ce fut intense, ce fut fini et ce fut tant mieux. /
Je l'écoutais souvent d’une oreille distraite mais un jour, après m’avoir longuement observée alors que j'enchainais les patients, elle eut cette phrase: “Frédérique, tu ne feras jamais d’un canasson, un cheval de course. Tu vas t’épuiser”. Ne me demandez pas pourquoi, cette phrase est restée, elle a résonné.
Enfin si, demandez moi!
Est-ce que j’essayais de vider la mer avec une petite cuillère? Est ce que j’essayais de changer des choses impossibles à changer? Et est-ce que dans ce processus, je ne faisais pas plus de mal que de bien?
Ma réponse, je l’ai eu quelques mois plus tard. Une petite fille porteuse de déficience intellectuelle, un exercice pas du tout dans sa zone proximale de développement et ma tête dépitée quand elle échoue. La petite fond en larmes et je fonds de honte. A vouloir trop la tirer vers le haut, je ne faisais que la confronter à ses échecs, présents et futurs.
Je mentirai si je disais que c’est à ce moment-là que j’ai eu un déclic. On ne fonctionne pas comme cela, c’était un début de clic?
Il n’y a pas de chevaux de courses et de canassons! Il y a une multitude de poulains ayant tous la même valeur intrinsèque et nous devons les accompagner sur leur chemin pour devenir le cheval qu’ils veulent être. Je crois que je suis arrivée au bout, la métaphore s'essouffle!
J’ai pourtant continué à faire des erreurs. Dans la prise en charge de la personne autiste, je tentais d’appliquer mes objectifs de personne typique à une personne neuro divergente. Il est impossible de “neuro converger” mais j’essayais et ce faisant, je fonçais dans des murs et faisais des dommages au passage. Les neurotypiques verbalisent, ils n’ont pas les mêmes stratégies de régulation, le contact visuel est nécessaire aux interactions… Est-ce une meilleure façon de faire ou juste UNE façon de faire?
Souvent, en tant que rééducateurs, nous prenons projet thérapeutique ce que nous imaginons être leurs besoins et objectifs. Sommes-nous capables d’entendre qu’une personne porteuse de handicap accorde une valeur neutre à son handicap et ne cherche pas à le surmonter à tout prix? Que les objectifs du patients et de sa famille ne soient pas conformes avec ceux que nous avions envisagés? Comme me le disait une personne vaguement sage : “Tu n’es pas meilleure que tes patients, tu es là pour les emmener sur le chemin de l’auto-détermination et de la valorisation de soi.” et ce chemin ne nous appartient pas, nous ne sommes que les accompagnateurs.