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Que vaut vraiment le matériel qui peuple les étagères de nos cabinets? Les auteurs ont soumis 15 matériels orthophoniques de dérivation morphologique à un examen minutieux afin d'en savoir plus sur leur design et leur validité.
TagsMorphologique dérivationnelle, langage oral, langage écrit
Titre originalCritical analysis of clinical resources and tools for derivational morphology used in francophone speech and language therapy
AuteursDuboisdindien Guillaume, Dal Georgette
Date de publication2022
RevueHAL (communication orale)
Lien Sourcehttps://hal.science/hal-03522862

Disclaimer: Toutes les références complémentaires incluses dans les articles sont des références issues de l’article initial que j’ai choisi d’inclure pour les personnes souhaitant aller plus loin dans leur recherche. Il ne s’agit pas d’articles que j’ai personnellement lus. Ces références complémentaires seront placées dans une bibliographie secondaire dans les prochains articles.


Avant-propos


Voici donc un article issu d’une communication orale de G. Duboisdindien au sujet du matériel orthophonique en morphologie dérivationnelle. En 2020, dans le cadre de son post-doc, Guillaume Duboisdindien participe au projet Demonext piloté par Fiammetta Namer (professeure des universités, Université de Lorraine) qui fait suite au projet Demonette-1, base de données sur la morphologie dérivationnelle en français. Georgette Dal (co-auteure de l'article, professeure des universités) est responsable en tant que partenaire scientifique pour son unité de recherche STL (Université de Lille).

//Plus de détails sur le projet Démonext et Demonette en fin d'article//

Au vu de l'importance de la morphologie dans nos prises en charges et dans le cadre de la création de cette base de donnée, nos chercheurs sont allées voir du côté du matériel orthophonique existant et plus particulièrement celui marketé "morphologie dérivationnelle" afin de voir s’ils répondaient aux critères qu’on attends concernant ce type de matériel.
Ne me demandez pas, vous n’aurez pas la liste des matériels étudiés!

Voici donc l’article issu de cette communication orale, qui illustre excessivement bien l'intérêt de la base de données Demonete-2 et au-delà de cela; la nécessité d’un regard critique sur le matériel orthophonique que nous employons quotidiennement.

Introduction


Si vous n’avez pas vécu sous un rocher, vous avez connaissance de l’importance du rôle de la morphologie dérivationnelle en lecture, littératie et vocabulaire (Carlisle, 1995; Nation and Snowling, 2004; Reed, 2008) .
Des études préliminaires ont également montré que le processus de formation des mots et sa régularité peuvent être touchés en cas d’aphasie ou d’aphasie progressive primaire (Badecker and Caramazza, 2001; Auclair-Ouellet et al., 2017).
Des études cliniques ont montré de bons résultats lorsque la morphologie dérivationnelle était spécifiquement entraînée (Goodwin and Ahn, 2010; Galuschka and Schulte-Körne, 2016). Il n’en fallait pas plus, pour que les éditeurs de matériel orthophonique s'engouffrent dans la brèche et proposent du matériel exerçant ce processus mais leur efficacité reste à démontrer.

Les auteurs ont donc proposé un questionnaire à des orthophonistes afin de savoir si la morphologie dérivationnelle était un point de travail de leur pratique (35% de oui) avec une petite inquiétude cependant des auteurs concernant les connaissances réelles des participants sur les activités de morphologie dérivationnelle et sa définition.
Les trois questions traitées dans cet article seront:
1/ Quelles sont les caractéristiques qualitatives du matériel clinique orthophonique en morphologie dérivationnelle.
2/ Y a-t-il des lexèmes plus fréquemment ciblés dans ces matériels? Si tel est le cas, quels sont-ils et quelles sont leurs propriétés?
3/ Quelles sont les tâches utilisées pour stimuler le mécanisme de dérivation morphologique dans le matériel de remédiation orthophonique?

Méthodologie


Le premier niveau d’analyse est constitué de six critères initiaux, déterminés pour l’analyse globale de la qualité du design des matériels ,à savoir: données sur l'expertise et les informations commerciales, qualités ergonomiques et techniques, population cible, objectifs globaux et validité sociale, validité théorique, mesures de l'efficacité du traitement.
Je n'inclus pas les 22 sous-domaines, ne me dites pas merci.

Le second niveau s'intéresse au contenu et plus précisément aux lexèmes travaillés dans les supports et la façon dont ils sont travaillés.

La sélection des matériels cliniques orthophoniques s'est faite par une recherche internet auprès de plusieurs éditeurs avec les descripteurs “morphologie”, “conscience morphologique”, “morphologie dérivationnelle”, “composition morphologique”, “orthographe” et “vocabulaire”. Quinze matériels ont été sélectionnés auprès de divers éditeurs, un numéro aléatoire leur a été attribué et des examinateurs ont dû les examiner et les noter à partir des critères cités plus haut, les notes pouvant aller de 0 (insatisfaisant) à 4 (satisfaisant tous les critères).

Résultats préliminaires


  • Les caractéristiques générales:

  • J’ai une excellente nouvelle! Deux matériels sur 15 ont eu de bons résultats, avec une approche théorique et méthodologique valide et clairement identifiable par l’usager ainsi que des tests cliniques avant commercialisation. Et les autres?



  • Les lexèmes utilisés:

  • Parmis les 5134 occurrences de lexèmes, les 15 lexèmes complexes étant cités 10 fois ou plus ont été choisis. Ces 15 lexèmes sont constitués de 6 patterns morphologiques, à savoir la 2 préfixations en In- et Pré-, puis 6 suffixations en -iste, -ure, -ier, -age.

    On note la sur-représentation du préfixe “In”. Cependant, le préfixe In- n’est intéressant à travailler que lorsqu'il est utilisé dans les adjectifs dérivés de verbes, suffixés en -able (Schwarze, 2007; Dal and Namer, 2014).
    Le préfixe il- est tout aussi fréquemment utilisé alors qu’il est le fruit d’une assimilation régressive (en gros le In- qui devient Il- à cause de ce qui suit) donc son inclusion est assez questionnable au niveau didactique.
    Les auteurs ne suggèrent pas quels préfixes ou suffixes devraient être utilisés mais constatent que la représentation et le choix des lexèmes ne semblent pas suivre de logique systématique (si j’ai bien compris).

  • Les tâches utilisées

  • Les tâches de dérivation sont les plus fréquemment utilisées dans le matériel, ainsi l’orthophoniste peut voir s’il y a un transfert de l’apprentissage. La seconde tâche est l’analyse structurelle avec identification des préfixes et suffixes, parfois on y ajoute un petit distracteur. Certains matériels proposent également des choix d’affixes et des jugements de relation. Enfin, c’est ce que les auteurs pensent, parce qu’ils notent que souvent, les explications ne sont parfois pas clairement explicitées dans le livret (sauf pour les deux supers matériels qui restent entourés de leur halo de mystère).

    Discussion et conclusion


    Les résultats indiquent que la majorité des outils orthophoniques marketés pour la morphologie dérivationnelle souffrent d'un manque d'objectivité dans leurs constructions théoriques et dans leurs mesures de validité. De plus, les objectifs pédagogiques et les procédures d'application de la plupart de ces outils ne sont pas transparents ou ne figurent pas dans les manuels d’instructions.
    Ensuite, les instructions pour les activités morphologiques sont principalement orientées vers les tâches de dérivation et d'analyse structurelle. Cependant, pour 13 ressources sur 15, il a été constaté que la majorité des tâches proposées s'inscrivaient dans plus d'une sous-tâche ou n'étaient pas suffisamment spécifiques pour être classées dans une catégorie de sous-tâches. De plus, il n'est pas explicitement indiqué si ces tâches doivent être réalisées à l'oral ou à l'écrit, ou les deux.
    Enfin, l'examen des lexèmes présents révèle qu’il n’y a finalement pas de réel sélection étayée sur le plan structurel ou diachronique de la langue française. Globalement, ces résultats donnent une impression que le critère de sélection du matériel orthophonique est “c’est joli, ça fait des trucs”.

    Mon point de vue


    Cet article met en lumière avec méthode, l’un des problèmes structurels en orthophonie. Les matériels que nous achetons, la qualité psychométrique des tests d'évaluations normées (merci Tools2care) et même les formations doivent être soumis à un examen minutieux de notre part afin de savoir s’il répondent effectivement aux caractéristiques qu’on doit attendre d’eux, c’est à dire une approche scientifique spécifique et graduelle ancrée dans les données actuelles.

    Nous voyons actuellement fleurir de plus en plus de protocoles rééducatifs qui répondent vraisemblablement à une demande alors que notre spécificité tient pour beaucoup à nos capacités de raisonnement clinique et son application aux situations uniques que nous rencontrons. Reste à notre charge de valoriser cette spécificité et de nous tourner vers des matériels permettant d'exprimer pleinement ces capacités et c'est souvent moins cher ;)

    Pour aller plus loin:


    Qu’est-ce que ce Demonext et Demonette!? Il s'agit d'une base de données extrêmement exhaustive de la morphologie en français. Bien utilisée, elle peut être très utile à notre pratique car on connaît l’importance de la morphologie dans le langage oral et le langage écrit. On me chuchote même dans l’oreillette, qu’il y aurait des implications dans le domaine des troubles neurodégénératifs et de l’aphasie mais que nous n’en sommes qu’au stade de la recherche sur ces sujets.
    Demonette-2 c'est gratuit et c'est ici: https://demonette.fr/demo
    Des vidéos explicatives se trouvent sur la chaine Youtube dédiée ici: https://www.youtube.com/@
    Deux rapports méthodologiques avec des mises en application de la base de données en libre accès:
    https://hal.science/hal-0 et https://hal.science/hal-0