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Et si finalement, la pensée critique était la solution à notre dilemme? Autant une démarche qu’une philosophie de vie pour certains, la pensée critique nous permettrait de mieux vivre les “trous” présents dans notre clinique, vous savez, ceux dont Kamhi a parlé dans l’article précédent…Finn nous donne ici des pistes pour appliquer concrètement la pensée critique à notre pratique clinique. Moins de théorisation, plus d’action!
TagsEBP, opinion, pensée critique, épistémologie
Titre originalCritical Thinking: Knowledge and Skills for Evidence-Based Practice
AuteursFinn Patrick
Date de publication2011
RevueLANGUAGE, SPEECH, AND HEARING SERVICES IN SCHOOLS
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Disclaimer: Toutes les références complémentaires incluses dans les articles sont des références issues de l’article initial que j’ai choisi d’inclure pour les personnes souhaitant aller plus loin dans leur recherche. Il ne s’agit pas d’articles que j’ai personnellement lus. Ces références complémentaires seront placées dans une bibliographie secondaire dans les prochains articles.


Voici donc la réponse de Patrick Finn à l’article d’opinion de Alan Kamhi:

Depuis des décennies, des experts de notre profession arguent que la pensée scientifique est un complément essentiel à notre pratique clinique (Ringel, 1972; Costello, 1979; Perkins, 1985). Hors Kamhi (2011), argue que la partie la plus importante du processus scientifique, à savoir sa capacité à s'autocorriger, n’est pas possible en clinique. Le scientifique, le clinicien, nous tous, sommes faillibles du fait de nos biais, de notre résistance au changement ou aux preuves contradictoires. Les erreurs des scientifiques sont évacuées par la communauté scientifique ce qui n’est pas possible pour le clinicien qui opère souvent de façon isolée. Kamhi (2011) suggère que l’EBP réduit les failles dans le raisonnement mais y voit encore des désavantages et propose une approche individualisée de chaque patient et que la pensée rationnelle est l’élément le plus important de notre boîte à outils de clinicien.

Kamhi (2011) à raison de conclure que la pensée rationnelle ou critique est une compétence clinique essentielle et un complément important de l'EBP dans notre profession. Ce qui n'est pas clair, c'est comment appliquer concrètement la pensée critique dans le cadre de l’EBP.
Dans ce qui suit, l'auteur esquisse les informations de bases nécessaires au clinicien souhaitant devenir un penseur équilibré. (Si tant est qu’on puisse équilibrer sa pensée, en tout cas sortir de la pensée monolithique!) Il suggère également que la pensée critique devrait être une compétence requise dans nos programmes de formation professionnelle.

Qu’est-ce que la pensée critique et en quoi relève-t-elle d’une démarche EBP?


Les racines conceptuelles de la pensée critique se trouvent dans les sciences de l’éducation, la philosophie et la psychologie avec une définition glissante selon la discipline.

L'esprit critique est la capacité et la volonté d'évaluer les affirmations et de porter des jugements objectifs sur la base de raisons et de preuves bien étayées, plutôt que sur la base d'émotions ou d'anecdotes. Les personnes dotées d'un esprit critique sont capables de rechercher les failles dans les arguments et de résister aux affirmations non étayées. Critiquer un argument n'est pas la même chose que critiquer la personne qui l'avance. La pensée critique n'est cependant pas simplement une pensée négative, elle inclut la capacité d'être créatif et constructif, c'est-à-dire la capacité de trouver d'autres explications à une situation donnée, de réfléchir aux implications des résultats de la recherche et d'appliquer les nouvelles connaissances.
Wade and Tavris (2008)

Comme le suggère cette définition, il existe plusieurs caractéristiques de la pensée critique qui sont pertinentes pour la prise de décision clinique dans le cadre de l'EBP. Notamment l’intention du clinicien de s’engager dans un processus d’auto-évaluation avec pour objectif d’aboutir à des décisions justifiables dans sa pratique.
Jenicek et Hitchcock (2005) soulignent également que la pensée critique est aussi une façon de prendre des décisions et de les transmettre aux autres, pas pour notre satisfaction intellectuelle personnelle, mais pour le bénéfice du patient et de la communauté. Genre des Gandhi de l’orthophonie, “Un croq’carotte pour toi. Un pumping car pour toi.”.

Quelles sont les compétences impliquées dans la pensée critique?


Comme les définitions de la pensée critique, les qualités sollicitées dépendent du cadre de pensée du théoricien (Moseley et al., 2005). Nous pouvons tout de même citer des capacités d'interprétation, d’évaluation et de métacognition (Fischer & Spiker, 2000).

  • L'interprétation
  • Il est important d’estimer les tenants et les aboutissants concernant un postulat sur lequel on se penche, les éléments la composant, la réponse et les raisons qui permettent d’arriver à cette réponse ou solution (Browne & Keeley, 2010).
    Il y a trois étapes à l’interprétation;
    1/ Délimiter et définir le postulat. Est-ce qu’on examine des prétentions (Quelle est la meilleure méthode en cas de TDL?) ou on cherche des résultats alternatifs (Quelle méthode sera la plus appropriée à mon patient?).
    2/ Identifier les raisons qui font que l’autre soutient ce postulat? Par exemple, est-ce que mon collègue recommande ce traitement pour des raisons personnelles, parce qu’il est soutenu par les données ou parce qu’il correspond à son patient?
    3/ Evaluer les informations à notre disposition pour plus de clarté. Y a t-il des ambiguïtés dans les données et les termes ou encore des biais d'interprétation?

  • L'évaluation
  • L'objectif de l'évaluation est de déterminer le degré d'acceptabilité du postulat au regard des arguments fournis.
    1/On essaiera de juger de la qualité des inférences en passant des raisons à la conclusion du postulat.
    Par exemple, on nous conseille de prier à la pleine lune pour que notre patient arrête de bégayer parce que ça a marché pour le fils de la voisine. Postulat: La prière à la pleine lune est un traitement adéquat pour le bégaiement, l’inférence étant “parce que ça a marché sur un patient”, échantillon non représentatif (ça c’est la preuve), corrélation et causalité sont confondus (ça c’est l’inférence)… Disons donc que les inférences sont de mauvaise qualité sur ce postulat.
    Ou encore, un autre exemple, est-ce que les prétentions du traitement sont basées sur un argument d’autorité et sur l’aura de celui qui le propose, plus que sur des données concernant leur efficacité?
    2/ On évalue ensuite la qualité des preuves qui sont proposées mais aussi leur valeur et leur faiblesse (crédibilité, susceptibilité aux biais…). Les preuves seront pondérées en conséquence. Par exemple, s'agit-il du meilleur traitement pour notre patient, compte tenu de la crédibilité des recherches, de l'étendue de votre propre expérience clinique et des besoins perçus de votre client ?
    3/ La troisième étape consiste à juger de la qualité globale du postulat. En d'autres termes, devriez-vous accepter cette recommandation d'administrer ce traitement ou devriez-vous envisager d'autres alternatives ?

  • La métacognition
  • La métacognition fait référence à la prise de conscience et l’analyse de notre propre pensée (Nickerson, Perkins, & Smith, 1985); l’objectif de la métacognition dans la pensée critique est d’évaluer notre propre raisonnement lors du processus d'interprétation et d’évaluation du postulat.
    Il faudra, dans un premier temps, vérifier la pertinence de notre réflexion lors des étapes précédentes: c'est-à-dire, avons-nous une compréhension exhaustive des données du postulat ou est ce que notre compréhension du problème est superficielle et incomplète?
    Dans un second temps, vérifier ses propres biais quant à la situation et la façon dont ils peuvent influencer notre jugement: est ce qu’on a envie de contredire le postulat juste parce que la personne ne nous revient pas, avons-nous examiné les preuves avec neutralité, est-ce qu’on a envie que la méthode marche parce que nous avons dépensé un PEL?
    La troisième étape consiste à appliquer délibérément des stratégies de pensée qui permettent l’analyse la plus efficace du postulat. Par exemple, la recherche de preuves a-t-elle été exhaustive? Les preuves contradictoires ont-elles été envisagées? Quels sont les traitements alternatifs? Les souhaits du patient ont-ils été pris en compte?

    Comment nos modes de pensées influent sur notre capacité à accéder à la pensée critique.


    Vraiment, la pensée critique, c’est pas juste des outils ou une méthode qu’on peut appliquer dans un cas donné. La plupart des théoriciens mettent l’emphase oui, je me suis emballée sur le dico des synonymes sur l’importance des dispositions de pensée ou styles cognitifs définissant l’attitude d’une personne envers les croyances et la façon dont il se les approprie ou les remet en question (Stanovich, 2009).
    Plusieurs modes de pensée sont vus comme influant sur la force et la direction que peut prendre la pensée critique (Nickerson, 2008).
    L’ouverture d’esprit, par exemple, fait référence à l’acceptation et la recherche de nouvelles preuves, idées ou possibilités.
    En complément, l’impartialité, la capacité à examiner les preuves et même celles allant contre vos convictions.
    La délibération est la volonté de suspendre son jugement en attendant d’avoir tous les éléments et le temps de les examiner afin d’arriver à une conclusion satisfaisante.
    Enfin, il y a la pensée contrefactuelle, qui fait référence à la volonté de réfléchir à ce qui pourrait se passer différemment si les données du postulat étaient examinées dans des conditions différentes ou d'un point de vue différent.

    Si vous vous demandez encore pourquoi on nous parle de ces dispositions d’esprit comme essentielles dans la pensée critique, envisagez leur opposés: l'étroitesse d'esprit, la partialité, la négligence et la rigidité. Ces styles de pensée ne signifient pas nécessairement que vous ne vous engagez pas dans un processus de réflexion. Cela signifie plutôt que votre réflexion sera orientée vers le maintien de vos croyances actuelles et l'adhésion à vos valeurs, c'est-à-dire, le maintien du statu quo. On reste dans son petit confort, quoi

    Comment notre raisonnement déraille


    Les chercheurs en sciences cognitives ont mis en évidence une grande variété d'erreurs que nous sommes tous susceptibles de commettre et qui jouent souvent un rôle dans la prise de décision et le développement de nos croyances.
    Pohl (2004) a décrit trois caractéristiques fondamentales de ces erreurs de jugement:
    1/ Elles conduisent généralement à des jugements différents du choix optimal car elles se traduisent par des perceptions ou des souvenirs différents de la réalité objective.
    2/ Elles se produisent sans que nous en soyons explicitement conscients et sont donc difficiles à éviter.
    3/ Mais si nous sommes informés de leur existence ou si nous recevons des instructions sur la manière de penser différemment de la normale, alors généralement, ces erreurs peuvent être réduites ou éliminées.

    On connaît tous les biais cognitifs et les lister serait un site internet en lui-même (il existe des biais de mémoire, des biais de raisonnement, des biais de personnalité…).
    Kida (2006) nous donne un petit raccourci rapide des biais de raisonnement:
    1/ On est plus facilement convaincu par des expériences et des anecdotes que par des preuves objectives et statistiques.
    2/ Les preuves allant dans le sens de nos croyances sont préférées et on rejette plus facilement celles qui nous contredisent.
    3/ On sous-estime le rôle du hasard et nous appliquons des liens causaux erronés à des événements arrivés par hasard.
    4/ Nous pensons voir le monde tel qu’il est, sans réaliser que nos sens peuvent nous tromper mais également que nos perceptions peuvent être influencées par nos croyances.
    5/ Nous simplifions notre raisonnement de façon binaire au lieu d’envisager que d’autres explications sont possibles.
    6/ Nous avons une foi trop grande dans notre mémoire alors qu’elle est totalement faillible et souvent celle-ci influence nos croyances et attentes.

    Et comment apprendre la pensée critique?


    J’espère vous avoir convaincu de l’importance de la pensée critique dans l’exercice du clinicien. Mais comment l’apprendre quand on voit à quel point cet exercice est vaste et demande des dispositions d’esprit spécifiques? La pensée critique devrait être un objectif et pas une conséquence de la formation initiale.
    Le contenu des chapitres plus haut est un résumé d’un cours prodigué aux étudiantes orthophonistes de Georgie et s’intègre dans la démarche de l’Evidence Based Practice vers lequel nous tendons pour nos étudiants

    Les recherches en psychologie montrent que nos biais influencent notre capacité d’auto critique (Gilovich, Epley, & Hanko, 2005) et nous laissent penser que comme nous avons les meilleures intention pour nos patients et une intelligence au dessus de la moyenne, nous ne pouvons pas faire de mal à nos patients.
    Mais c’est faux! Même les gens intelligents, cultivés et bien intentionnés font des idioties voire auront des pratiques dangereuses ou allant dans le sens de leurs intérêts (Stanovich, 2009). Comment nous protéger de ces erreurs et fausses croyances? La première étape est d’intégrer la démarche EBP dans notre pratique et la seconde, développée ici, est d’enseigner l’art de la pensée critique à nos futurs collègues.

    Pour aller plus loin:

    Le PowerPoint du cours de Guillaume Duboisdindien de méthodologie de recherche/zététique (encore une fois)
    https://www.researchgate.

    Cours de zététique et autodéfense intellectuelle de Richard Monvoisin de l'université de Grenoble
    https://www.youtube.com/w

    Les ouvrages Henry Broch, le papa de la zététique:
  • Le paranormal
  • L'art du doute
  • Comment déjouer les pièges de l'information

  • Ouvrage "Au coeur de l’esprit critique" bonne intro à l'esprit critique de Séverine Falkowicz

    Le site du Cortecs
    https://cortecs.org/le-co

    Zet'éthique, méta-critique du mouvement zététique
    https://zet-ethique.fr/