Connexion

Articles

Rechercher

Il décode bien mais ne comprend pas, chez nos amis chercheur, on appelle cette espèce, les mauvais compreneurs (MC). Qui sont-ils, quel est leur habitat et pourquoi ils ne comprennent pas (justement!)? Catts et Adlof ont testé une hypothèse concernant les flexions verbales chez un petit groupe d'enfants du CM1 pour préciser tout ça.
Tagscompréhension écrite, TDL
Titre originalMorphosyntax in poor comprehenders
AuteursAdlof Suzanne M., Catts Hugh W
Date de publication2015
RevueReading and Writing
Lien SourceDOI 10.1007/s11145-015-9562-3

Résumé:

Cet article concerne les enfants ayant des difficultés de compréhension écrite mais des capacités de décodage préservées. Ces derniers sont connus pour avoir des difficultés lexicales et dans les processus de compréhension orale de haut niveau à l’oral (je pense notamment aux inférences) mais on a moins étudié leurs capacités morphosyntaxiques. C’est ce que cet article va s’attacher à faire auprès d’enfants du CM1 en leur présentant trois tâches concernant les flexions verbales. Les capacités langagières globales des enfants, leur mémoire phonologique et leur vocabulaire ont aussi été vérifiés.
En résumé, les enfants “mauvais compreneurs” (MC) présentaient des faiblesses dans tous les domaines explorés sauf la mémoire phonémique (explorée par la répétition de non-mots).
Ces résultats permettent d’avoir une idée plus claire concernant le profil langagier des MC, avec des faiblesses en morphosyntaxe ne pouvant être expliquées par des facteurs lexicaux ou de compréhension complexe.

Introduction:


Les enfants présentés comme “mauvais compreneurs” (MC) présentent des difficultés de compréhension écrite qu’on ne peut pas attribuer à des difficultés de décodage. On estime que ce profil correspond à environ 5 à 10% des jeunes enfants selon Nation et Snowling (1997).

Les études suivant le modèle “The Simple View of Reading” de Gough et al., ont montré que la majorité des variations dans les capacités de lecture des enfants venaient soit de problèmes de décodage soit de la compréhension langagière chez la majorité des enfants.
Comme, par définition, les MC ont de bonnes capacités de décodage, ce modèle prédit qu’une faiblesse des capacités de compréhension langagière (orales et écrites) sous-tendrait ces difficultés en lecture.

De nombreuses études ont montré, chez ces enfants, des difficultés de vocabulaire et de traitement sémantique, de compréhension orale de haut niveau (type inférences par exemple), de compréhension des expressions idiomatiques et des difficultés de narration.
En contraste, les capacités phonologiques sont souvent préservées (discrimination, identification et mémoire phonologique).
L’hypothèse étant que les capacités phonologiques préservées constituent une bonne base pour la mise en place des capacités de décodage, qui sont donc conservées chez les MC.

Les capacités grammaticales des MC restent un domaine peu exploré et notamment les capacités en morphologie flexionnelle (et dérivationelle) et syntaxe. Plusieurs études ont montré des scores plus bas dans des épreuves d’association phrases-image, répétition de phrases et “following directive” lorsque les phrases incluaient des variations grammaticales.

Ces études manquent cependant de finesse dans les domaines explorés et ne permettent pas de tirer des conclusions spécifiques. De plus, ce type de phrases sont souvent longues et sémantiquement complexes demandant un recrutement de la mémoire de travail et des capacités sémantiques pouvant influer sur les résultats C’est logique, au niveau spécificité, il faut tester une seule chose à la fois!
En résumé, les performances grammaticales des MC restent incertaines. Les études précédentes concernant des tas de phrases sans se fixer sur des structures précises et sans éliminer le facteur sémantique et longueur de phrase.


Les auteurs vont donc tester des enfants de CM1 avec des phrases simples, courtes et familières.
Les tâches portent sur les flexions verbales ou “finiteness marking” en anglais. C'est-à-dire la variation morphologique du verbe selon le temps et le sujet (Flexion verbale pour les intomes).
Note de ma part: Il est à noter que cette étude concerne la morphologie dérivationnelle de l’anglais et ne peut donc être littéralement appliquée au français qui aura des marques morphologiques différentes, plus nombreuses et souvent encore plus discrètes. Les flexions dérivationnelles de l’anglais étudiées ici se traduisent toutes à l’oral et l’auteur précise que les flexions “audibles” ont été choisies, c'est -à -dire celles qui se traduisent à l’oral. On peut donc se demander ce qu’il en est des flexions verbales “inaudibles” (-ent, -s), et quand en plus il y a une élision du sujet, en tout état de cause, la difficulté est probablement encore plus grande et peut impacter la compréhension écrite.

Outre le fait de combler le manque de données sur le sujet dans la littérature, l'intérêt d’étudier les flexions verbales réside aussi dans le fait qu’il semble s’agir d’un bon indicateur des capacités langagières de l’enfant et de l’adolescent. La détection de difficultés au niveau des flexions verbales pourrait éventuellement prédire les futures difficultés en compréhension écrite?
Les auteurs souhaitent également, par cette étude, préciser les profils de “mauvais compreneurs” et les distinguer des enfants avec un TDL.

Dans cette étude, des enfants de CM1 typiques et MC ont été confrontés à des tâches de morphologie dérivationnelles à l’écrit (ainsi qu’un bilan langagier complet). Les auteurs s’attendent à des résultats similaires en mémoire phonologique mais à des résultats plus faibles en vocabulaire, sémantique , syntaxe et évidemment, morphologie dérivationnelle.

Méthode


Bip Bip! Je sonne l’alerte du tout petit échantillon! Cette étude ne porte que sur une petite quarantaine d’enfants.

  • Les participants

  • Les enfants (entre 9 et 10 ans) ont été séparés en deux groupes: 16 MC (mauvais compreneurs) et 24 enfants BC (bons compreneurs) à partir d’évaluations scolaires. Les enfants devaient être monolingues, bon décodeurs, sans troubles concomitants et d’intelligence non verbale dans la moyenne.
    Tous les participants avaient un score entre le 40ème et le 85ème percentile en lecture (décodage) le but étant d’avoir des lecteurs moyens mais pas over-performants. Les capacités de compréhension écrite étaient testées par le GRADE de Williams, Cassidy & Samuels (2001). Les auteurs ont pris le parti de ne sélectionner que les enfants ayant des scores franchement bas en compréhension. Les enfants montrant des signes d’utilisation de dialecte afro-américain ont également été écartés de l’étude car celle-ci concerne l’anglais/américain standard (AAS).

  • Procédure:

  • Les capacités langagières des enfants ont été testées (consignes orales, répétition de phrases, concaténation de phrases, expression de lien sémantique entre des mots) avec la CELF-4 ainsi que le test de vocabulaire de Peabody et une épreuve de répétition de non-mots afin de tester la mémoire phonologique.
    Concernant les capacités morphosyntaxiques AKA le truc qui nous intéresse aujourd’hui, trois épreuves ont été présentées à l’oral aux enfants:
    Une épreuve de jugement de phrases dans lesquelles la flexion verbale a été soit omise, modifiée ou correcte.
    Une épreuve de jugement grammatical sur les auxiliaires Be et Do dans des questions.
    Une dernière épreuve de complément de phrase portant sur les flexions verbales.

    Résultats et discussion


    Cette étude est la première à se pencher sur les capacités des mauvais compreneurs des quatre types de flexions verbales anglaises en réception à l’oral en éliminant les effets du vocabulaire ou de la longueur des énoncés ou des mots.
    Les résultats vont dans le sens du postulat initiale des chercheurs mais n’est pas toujours le cas?, à savoir que les MC présentent des difficultés particulières concernant la morphosyntaxe qui ne peuvent donc pas être attribuées à un manque de vocabulaire ou un déficit de la mémoire de travail. Les effets de groupe étaient importants dans toutes les épreuves de morphosyntaxe avec des scores plus bas chez les enfants MC.
    Ces résultats vont dans le sens de la théorie initiale de Nation (2006) qui postulait que les erreurs de surgénéralisation étaient plus fréquentes chez les MC.
    Notons que les deux groupes étaient performants en production concernant les flexions verbales et qu’il s’agit bien ici de difficultés en réception.
    On peut aussi, peut-être, partir du principe que si ces difficultés sont retrouvées sur des phrases courtes et simples, elles soient encore plus importantes dans des phrases longues et complexes.
    On voit donc que le niveau mémoire phonologique est similaire chez les deux groupes mais les MC ont des scores significativement plus bas en morphosyntaxe mais également dans les épreuves langagières plus globales.

  • Mais et si les enfants MC qui faisaient ces erreurs étaient en fait des enfants TDL et qu’on ne teste pas ici les capacités des MC mais des enfants TDL en morphosyntaxe?

  • Dans cette étude, une petite partie des enfants MC pouvaient être considérés comme TDL du fait de leurs scores en LO au bilan initial. Les auteurs ont cependant constaté que les scores bas en morphosyntaxe étaient distribués également chez tous les MC et pas uniquement chez les MC+(éventuel) TDL pardon mais sur un échantillon riquiqui comme ça, j’ai du mal à être 100% vendue.

    Historiquement, les deux profils étaient différenciés dans les études, d’une part par leurs âges, le TDL étant généralement diagnostiqué aux alentours de la maternelle, et d’autre part par le fait que le TDl est un diagnostic et l’étiquette de MC est surtout descriptive. Les auteurs distinguent également ces deux groupes par leurs différentes capacités de répétition de non-mots.

    Encore une fois, les auteurs théorisent que finalement, les TDL pourraient être un spectre sur lesquels les MC pourraient se placer, de même pour les capacités de compréhension écrite dans lesquelles les performances des enfants avec TDL pourraient être différentes selon leurs profils et qu’en se focalisant sur différents aspects lors de l’évaluation, on constate que les enfants TDL et MC n’ont pas des profils de performance égaux dans tous les domaines. Gardez également en tête que les critères de diagnostic des TDL ont été appliqués à des enfants beaucoup plus jeunes et que l’évolution des profils des enfants TDL a moins été étudié et qu’il s’agit peut être ici de profils de performances ayant évolué je rappelle que les enfants de l’étude sont au CM1.

    Je fais ici une petite parenthèse encore pour signaler que la thèse de Christelle Maillart soutenue en 2003 s’intéressait à la morphosyntaxe des enfants dysphasiques. Elle avait noté, chez ces enfants, des difficultés spécifiques concernant les préfixes et les suffixes.

    Et dans mon cabinet, j’en fais quoi?


    Déjà, testons la compréhension orale de nos patients mauvais compreneurs en profondeur (morphosyntaxe, inférences, vocabulaire…)! L’évaluation dynamique est ton amie et en précisant les points de difficulté, comme par exemple la morphologie dérivationnelle ou les flexions verbales, on pourra travailler les difficultés de façon précise et monitorer les progrès.
    A ce sujet, je revois vers les articles sur le monitoring et la compréhension écrite grâce à l'icône magique de recherche. Elle n’est pas terrible mais pour le nombre d’articles, vous vous en contenterez! C‘est pas Notion ici!
    Ensuite, le fait que les profils de performance évoluent devrait nous inciter, encore une fois, à être attentif à réévaluer les performances mais aussi à prendre en compte le coût cognitif de la lecture (lecture dans sa globalité hein, donc décodage+compréhension).


    PS: Merci Marie qui, par sa lecture attentive, a relevé une erreur de ma part! Merci Marie!

    Et maintenant, j’ai une surprise!
    Mon super mari a rajouté un onglet quizz! Donc si vous souhaitez tester vos connaissances au sujet de cet article, maintenant vous pouvez. Et on dit tous “Merci Pierre!”