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Les auteurs se sont interrogés sur la prescription (surprescription??) des épaississants dans les cas de dysphagies neuro gériatriques et moi je m’y intéresse parce que vous savez maintenant que l’éthique, c’est l’une des raisons qui me fait me lever le matin (ça et les insomnies) et aussi parce que les vieux presbyphagiques de demain, c’est nous!
Tagsneurologie, dysphagie, éthique
Titre originalThe Geriatric Swallow: Through Thick and Thin
AuteursFazakerlya Amanda, Nativa Nogah
Date de publication2020
RevuePerspectives of the ASHA special groups
Lien Sourcehttps://doi.org/10.1044/2020_PERSP-19-00111

Introduction


Les orthophonistes et la dysphagie neuro gériatrique, une longue histoire d’amour qui a ses hauts et ses bas. Dans un souci de précaution, les recommandations d’épaississement des liquides ont longtemps été très fortes allant de paire avec une augmentation de la gamme des produits mais qu’en est-il de l’efficacité de telles mesures? Du consentement du patient?
N’est-il pas étonnant que dans ce contexte il n’y ait pas de véritables recommandations de bonne pratique sur l’utilisation des épaississants dans ce contexte? La littérature académique et les observations cliniques révèlent la nécessité d'évaluer soigneusement et objectivement l'utilité des liquides épaissis.

Les troubles de la déglutition affecteraient 22% des adultes au dessus de 50 ans avec une incidence plus importante chez les patients souffrant de troubles neuro-dégénératifs, en phase aiguë d’une maladie ou ayant eu un AVC. La prévalence des troubles de la déglutition est particulièrement importante chez les patients âgés du fait de changement dans les fonctions de déglutition et du tonus de réserve liés à l’âge. Cependant, la principale raison de l'incidence élevée de la dysphagie dans la population gériatrique est que les troubles de la déglutition sont une séquelle courante des maladies qui touchent le plus souvent la population gériatrique, telles que les accidents vasculaires cérébraux, les maladies neurodégénératives et le cancer de la tête et du cou.

De même, une conséquence fréquente de la dysphagie est l’inhalation de liquides ou solides. L’inhalation de liquide étant particulièrement fréquente chez les patients souffrant de démence. Les pneumopathies d’inhalation peuvent donc survenir suite à ces aspirations de liquides, aliments voire salive. jusque là vous me suivez!
La pneumopathie d’inhalation est la cause la plus courante de décès par maladie infectieuse aux Etats-Unis chez les personnes de plus de 65 ans et la troisième cause de décès chez les personnes de plus de 85 ans. Cette dernière constitue 5 à 15% des cas de pneumonies et est une cause majeure de morbidité et de mortalité chez les patients âgés ou porteurs de handicap.

Dans ce cadre, l’épaississement des liquides est considéré comme une stratégie valide de réduction des fausses routes par de nombreux cliniciens. Dans un questionnaire adressé à 145 orthophonistes américains (plus de la moitié avaient plus de 10 ans d’expérience) 84.5% pensaient que l’épaississement des liquides était une stratégie efficace d’éviction des fausses routes. La plupart citant un retard de déclenchement du temps pharyngé de la déglutition ou une mauvaise gestion du bolus comme indication d’épaississement.
En 2004, Castellanos et al. ont fait un sondage dans 252 maisons de retraites américaines. 91.6% de ces maisons de retraite proposaient l’épaississement des liquides comme stratégie de prise en charge des dysphagies avec un taux de patients en liquides épaissis allant de 8% des résidents à 28%.

  • Petit aparté IDDSI:
  • Il s’agit d’un projet international de standardisation des textures adaptées à la dysphagie (International Dysphagia Diet Standardisation Initiative : IDDSI, dernière mise à jour 2022). Le but est d’harmoniser la terminologie concernant les textures modifiées et les liquides épaissis.
    Ce projet est issu de la constatation que les terme utilisés jusqu’à présent pouvaient largement varier et représenter des réalités différentes selon les structures et les pays(genre nectar, texture miel, mixé…) et qu’une harmonisation était nécessaire dans un but de recherche et d’efficacité dans la prise en charge du patient.
    Les documents à ce sujet sont facilement téléchargeables sur internet, Google IDDSI et tu verras les plus belles infographies de ta vie.

    Impact sur la physiologie de la déglutition et la sécurité


    Une déglutition “sûre” est définie par la fiabilité de la protection des voies aériennes supérieures lors de la déglutition. Une déglutition sûre ne présente donc pas de pénétration de liquide sous le plan laryngé ou trachéal. L’altération de la viscosité des liquides affecte le bio mécanisme de la déglutition de plusieurs manières: augmentation de l’activité des muscles supra-hyoïdiens, de la pression des muscles antérieurs et postérieurs de la langue, augmentation du mouvement antérieur de l'hyoïde et prolongation du temps oral.

    Concernant les aspects temporels de la déglutition, on constate en effet, un allongement du temps oral et pharyngé, une augmentation de la durée des vagues péristaltiques pharyngées et une augmentation de la durée et de la taille d’ouverture du sphincter supérieur de l’oesophage.
    Chez les patients ayant tendance à inhaler les liquides, on constate une augmentation de la durée de l’élévation laryngée ainsi que son arrivée légèrement plus tardive alors que les mesures restaient les mêmes chez les patients non inhalateurs.

    De nombreuses études ont montré l’utilité de l’épaississement des liquides pour la sécurité de la déglutition et ont montré une réduction des pénétrations du plan laryngé (check les références complémentaires si ça t’intéresse). Une étude a comparé l’épaississement avec la position de sécurité menton-poitrine, et l’épaississement gagne. Bref, tu vois le doss.
    Mais tout va bien dans le meilleur des mondes alors?
    Ben non! Il reste quand même le petit problème que les épaississants sécurisent au moment de la déglutition mais augmentent aussi la quantité de résidus dans les vallécules post-déglutition.
    On s'inquiète également , dans certains coins de la recherche des risques de déshydratation liés à l’épaississement des liquides (ce qui serait un peu dommage, vous en conviendrez) avec des risque accrus de contamination bactériennes en cas d’inhalation (une bouche plus sèche = plus de colonisations bactériennes).

    Si l’utilité de l’épaississement des liquides est validée pour réduire les pénétrations/ inhalations de liquides, leur efficacité pour réduire les pneumopathies d’inhalation reste incertaine. L'utilisation d’une posture de sécurité versus l’épaississement de liquide donnerait la même prévalence de pneumopathie d’inhalation mais attention, l’étude en question ne comportait pas de groupe contrôle… On suspecte aussi que la durée des pneumopathie soit corrélée avec l’épaisseur des liquides (plus liquide = plus facile à évacuer) mais des études sont encore nécessaires pour éclaircir ces points.
    Ces études ne tiennent pas compte des pneumopathies liées à l’aspiration de salive avec des risques accrus chez les patients nourris par sondes ayant une plus forte colonisation bactérienne buccale.
    De nombreux critères sont donc à prendre en compte quand on évalue le risque de pneumopathie d’inhalation chez les personnes fragilisées.

    Conséquences et risques de l’utilisation d’épaississants


    Bien que conçus pour améliorer la sécurité de la déglutition, les liquides épaissis peuvent avoir des conséquences et des risques inattendus. Ces derniers peuvent affecter la qualité de vie du patient et doivent être discutés avec les patients et les soignants.

  • L’adhésion du patient:

  • Le suivi des recommandations d’épaississement chez les patients sont systématiquement bas (autour de 56% adhérant au régime). Les patients citent comme raison le goût, la texture, l’adhérence en bouche, les difficultés à avaler le produit et la préparation fastidieuse. Un autre critère est l’aspect non-désaltérant des liquides épaissis.
    Les auteurs suspectent aussi que les patients semblent avoir des difficultés à reconnaître la nécessité et le raisonnement derrière la prescription de liquides épaissis, ce qui peut également expliquer leur manque d’adhésion. Un effort de communication et de pédagogie paraît donc nécessaire de la part des soignants.
    Les études plus récentes mettent en avant la nécessité d’inclure le patient dans la prise de décision, de lui proposer de prendre connaissance de la balance bénéfice risque et de le rendre partie prenante dans le processus (Je ne peux que dire un grand OUI).

  • Déshydratation

  • La prévalence de déshydratation chez les patients dysphagiques est importante. La surprescription ou la prescription prolongée de liquides épaissis pose un risque de déshydratation chez ces patients. Les patients sous liquides épaissis atteignent plus difficilement leur quota de prise de liquide journalière et particulièrement chez les patients post-AVC. La mauvaise adhésion au régime alimentaire modifié peut engendrer des déficits d’hydratation et nutritionnel. Les temps d'absorption étant rallongés et les prises moins fréquentes. La composition des liquides n’est pas en cause car l’usage d'épaississants n’affecte pas la biodisponibilité de l’eau dans la boisson.

  • La biodisponibilité des médicaments

  • La dispersion de médicaments dans les liquides épaissis a un impact sur la biodisponibilité des ingrédients actifs. Ne le faites pas, on n'est pas médecins ou infirmières

  • L’impact pulmonaire de l’aspiration de liquides épaissis
  • Les épaississants sont faits pour réduire le risque d’aspiration pulmonaire de liquides (trop liquides) mais cela ne veut pas dire que quand ils sont eux-même aspirés, c’est fleurs des champs et tralala.
    Une étude récente suggère que l’aspiration de liquide épaissis versus eau donnait un plus grand risque d'inflammation pulmonaire, oedème pulmonaire et de mort. Les épaississants à base d’amidon de pommes de terre étant encore plus à risque que ceux à base de gomme de xanthane. Notez cependant que ces études présentent des défauts (gros volume d’aspiration sur une courte période), des études supplémentaires sont nécessaires pour comprendre les impacts d’inhalation chroniques de liquides.

    Mais quelles alternatives alors?


    Une revue systématique de la prise en charge orthophonique de la dysphagie oropharyngée montre un éventail hétérogène d'approches, de fréquences et de durées de traitement. En gros pas vraiment de ligne directrice hein? De manière générale, les approches comportementales qui comprennent à la fois des méthodes de compensation et de réadaptation tendent à produire des résultats positifs pour les patients. Cependant, l'efficacité du traitement a été difficile à évaluer en raison de la grande variabilité des définitions des mesures de résultats.
    Les auteurs de cette revue soulignent la nécessité de réaliser des essais contrôlés randomisés, l'importance de prendre en compte la récupération spontanée dans la dysphagie d’origine neurologique et la nature idiosyncrasique de la rééducation de la dysphagie. En gros, On ne peut en aucun cas proposer un protocole standard de prise en charge de la dysphagie!

    Pour les patients ayant des capacités cognitives satisfaisantes, les ajustements posturaux à savoir :menton-poitrine, inclinaison de la tête voire position inclinée en arrière oui oui!, peuvent réduire le risque d’inhalation et doit être privilégiée quand cela est possible.
    En outre, bien qu'il ne s'agisse pas d'une stratégie de modification de la phase orale, les soins bucco-dentaires sont impératifs pour prévenir la pneumopathie d'inhalation non prandiale (de la salve, donc).

    Le raisonnement clinique


    La boucle est bouclée et on reparle de l’un de mes sujets préférés!

    La recommandation d’épaississement de liquide devrait être prise très au sérieux et seulement en dernier recours.
    Si et quand des modifications de textures sont préconisées, elles doivent être précises et temporaires dans le cadre d’un projet global de réhabilitation de la déglutition.
    L’intérêt de cette recommandation et des autres moyens de compensation doit être validé par des examens instrumentaux (vidéofluoroscopie ou fibroscopie, mais en aucun cas la palpation n’est valable).

    Comme le souligne cette étude, l'épaississement des liquides peut avoir de graves implications et conséquences sur le bien-être physique et la qualité de vie du patient.
    Si l'épaississement des liquides peut modifier suffisamment la physiologie de la déglutition pour réduire le risque d'aspiration de liquides, il n'y a pas suffisamment de preuves pour étayer l'hypothèse selon laquelle l'épaississement des liquides réduit réellement l'incidence de la pneumopathie d’inhalation ou d'autres morbidités.
    Vous voyez la différence?
    En outre, les personnes qui ont des difficultés de manipulation du bolus ou celles qui ont une faible contraction du pharynx, peuvent ne pas être des candidats appropriés pour l'utilisation d'épaississants en raison du risque accru de résidus post-déglutition.

    Une réflexion approfondie sur les risques et les avantages des liquides épaissis, en concertation avec le patient, est essentielle pour garantir l'autodétermination du patient. Parce que dans personnes âgées, il y a personnes!