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Si le principe de l’adoption de méthodes basées sur les preuves fait consensus chez les professionnels, comment expliquer la persistance de ces méthodes alternatives et questionnables ? Ne serait-ce qu'une question d'information? C'est ce que pense M. Lof.
TagsEBP, généraliste
Titre originalScience-based practice and the speech-language pathologist
AuteursLof Gregory
Date de publication2011
RevueInternational Journal of Speech-Language Pathology
Lien Source10.3109/17549507.2011.528801
Quand Claire (Fontaa) (PhD) (expatriée d’Alsace) (orthophoniste) m’a envoyé cet article dans un mail ayant pour titre “article de la mort qui tue, retour de l’être aimé garanti”, je ne put que lâcher tout ce que j’étais entrain de faire pour m’y atteler.

C’est faux, je l’air survolé, j’ai souri puis j’ai mis de côté dans ma pile à lire (c’est à dire mon Google drive qui contient actuellement 1.3Go d’articles à lire.
Mais quand un boulevard de temps (plutôt une petite ruelle) s’est ouvert à moi, c’est évidemment sur cet article que je me suis penchée parce qu’il contient tout ce que j’aime: de l’épistémologie et du drama!

Introduction où M. Lof se demande pourquoi les pratiques basées sur du vent persistent


La plupart des professions de santé et de l’éducation encouragent voire exigent l’usage des méthodes basées sur les preuves. L’EBP fait partie du langage courant des professionnels, des formateurs et des éducateurs en orthophonie (il est temps, vu que Sackett et al. a commencé à en parler en 1990) grâce au travaux de Dollaghan notamment. Le passage d’une approche basée sur l’intuition vers une pratique basée sur les preuves est présent dans les esprits mais force est de constater la persistance de pratiques alternatives questionnables!Ne me regardez pas, c’est Lof qui le dit et il est américain! Donc soufflez un coup les françaises, mais pas trop non plus

Mais si le principe de l’adoption de méthodes basées sur les preuves fait consensus chez les professionnels, comment expliquer la persistance de ces méthodes alternatives et questionnables j’ai une idée mais je vais laisser parler le Monsieur.

Carl Sagan en parlait dans son dernier livre mais de façon plus large. Comment dans notre société éduquée, les croyances dans les pseudosciences et le paranormal persistent?
La même question peut être posée concernant certaines pratiques en orthophonie : comment des cliniciens bien formés peuvent-ils mettre en œuvre des traitements qui ne sont pas soutenus par des preuves et ne s’appuyant pas sur des bases théoriques faisant consensus? Bon nombre de ces traitements prospèrent, comme en témoigne un rapide coup d’œil sur des sites web ou des discussions avec des parents et des clients qui demandent aux thérapeutes d’appliquer des thérapies douteuses. Pourquoi ces thérapies « à la mode » existent-elles ? Et pourquoi les retrouve-t-on dans tous les domaines de notre discipline, des troubles des sons de la parole aux troubles du langage, de l’autisme au bégaiement ?

L’une des raisons de cet usage est l’efficacité limitée de certains traitements établis, rendant les alternatives plus attrayantes (par exemple, la communication facilitée pour l’autisme voir Lilienfeld 2015 à ce sujet). Les traitements standards peuvent aussi être perçus comme contraignants ou peu attrayants, tandis que les thérapies alternatives sont souvent plus rapides, sexy et émotionnellement encourageantes. Ces modes sont parfois soutenus par des systèmes de croyances renforcés par l’autorité, la tradition ou des expériences personnelles. Face à la montée des traitements alternatifs, comment les cliniciens peuvent-ils résister aux modes thérapeutiques et lutter contre la pseudo-expertise?

Petites clés pour se prémunir du charlatanisme!


Déjà, qu’est ce que la charlatanisme?
“Le charlatanisme désigne le fait de tromper autrui en se faisant passer pour un expert ou en vantant des compétences, des produits ou des remèdes sans fondement scientifique ou vérifiable.” Ça recouvre déjà un domaine assez vaste non? Ici, je vais faire la nuance entre charlatan et pseudo-expert qui n’appartient qu’à moi.
La nuance que j’y trouve est l’intention: La tromperie chez le charlatan alors qu’il s’agit plus d’incompétence chez le pseudo expert. N’y voyez ici que mon interprétation personnelle, ne le mettez pas dans vos partiels, je ne réponds de rien!

Shermer met en cause un manque d’esprit critique chez les personnes s’adonnant aux pseudo-sciences (ceux qui sont bien intentionnés, pas les charlatans hein!) et liste des erreurs de jugements ou biais de raisonnements comme causes. Quel est le lien avec l’orthophonie? L’auteur pense que ce sont ces erreurs de jugement qui sont la cause majeure de la persistance de méthodes douteuses en orthophonie.
Il nous fait donc un joli petit tableau pour nous aider que je vous met ci-dessous:



Mais s’il n’y avait que cela, ça serait trop facile les cocottes et cet article ne ferait que deux pages (et Padovan aurait disparu et nous ferions toutes de l’évaluation critériée à longueur de PEC)!

Esprit critique, es-tu là?


Selon skeptic.com (oui, oui) le scepticisme peut être défini comme une attitude ou une méthode de réflexion qui consiste à remettre en question les affirmations, croyances ou idées jusqu'à ce qu'elles soient soutenues par des preuves solides et convaincantes. Il repose sur l'utilisation de la raison et de l'analyse critique pour évaluer la validité des informations, tout en restant ouvert à la possibilité de révision si de nouvelles preuves apparaissent. Le scepticisme n'implique pas un rejet automatique, mais une demande de preuves avant d'accepter une affirmation comme étant vraie.
Être sceptique ce n’est pas être cynique, c’est un jeu d’équilibre entre l’ouverture à toute nouvelle notion, aussi bizarre soit-elle, tout en ayant un regard impitoyable sur toutes les idées anciennes ou nouvelles.

Un des domaines où le scepticisme est de mise est le matériel et les méthodes rééducatives “toutes prêtes” qui fleurissent sur le marché sans régulation concernant la qualité de leur contenu. N’importe qui peut créer un matériel ou un protocole rééducatif et le marketer pour les orthophonistes et dans le domaine nous sommes assez naïves et sensibles aux arguments commerciaux. Encore un petit schéma pour vous montrer comment une méthode peut être créée de toutes pièces puis être indéboulonnable des cabinets (je suis sûre qu’on parle de praxies là, oui parce que l’auteur est l’un de ceux qui a dénoncé l'inefficacité des praxies sur les TDSP):



Science et pseudoscience:


L’auteur nous fait un petit point sur ce que constituent les sciences versus les pseudosciences et pour ceci, s’appuie sur les propos de P. Finn. Même s’il s’agit de mon auteur ortho préféré, je ne vais pas reprendre tout le chapitre mais plutôt le résumer avec ce gentil petit schéma ci-dessous (quelle foultitude de schemas aujourd’hui!). Pour aller plus en détail sur cette notion, n’hésitez pas à aller chercher l’article de P. Finn dans les archives du blog mais si vous voulez vraiment aller dans le fond des choses sur finalement “qu’est ce qu’une science?”, je vous re-renvoie vers les travaux de C. Sagan mais aussi de Poppers et pourquoi pas le petit ouvrage “Introduction à l’épistémologie” de Léna Soler?



Le passage de l’EBP vers le PBE


Les cliniciens s’informent de diverses manières et on se souvient de l’influence des pairs dans la prise de décision concernant la démarche clinique. Je rappelle donc ici que le consensus scientifique est, à ce jour encore, la meilleure méthode pour juger de la pertinence de l’utilisation d’une méthode et constitue la base des pratiques fondées sur des données probantes (EBP). Donc pas le “folklore orthophonique”, le bouche à oreille, les publi-marketing Insta ou les anecdotes.

L’evidence based practice est définie par Dollaghan comme “L'intégration consciencieuse, explicite et judicieuse de : (1) la meilleure preuve externe disponible issue de recherches systématiques, (2) la meilleure preuve disponible interne à la pratique clinique, et (3) la meilleure preuve disponible concernant les préférences d'un patient pleinement informé.”
La différence entre l’EBP et le PBE que fait l’auteur est que la PBE intègre des données issues de la clinique par des praticiens qui utilisent la méthode scientifique dans leur démarche clinique et leurs méthodes. Mais oui! Parce que l’orthophonie est encore un domaine où la recherche fait encore défaut. Dollaghan (2007) estime que les preuves issues de la pratique clinique peuvent enrichir de manière significative les connaissances des pratiques fondées sur des données probantes (EBP), mais uniquement si la qualité des données recueillies est adéquate. C’est tout l’intérêt des cliniciens chercheurs.

Si l’EBP nous informe sur l’efficacité d’un traitement la PBE nous donne des informations sur leur efficience et donc leur effet dans la vraie vie dans les vrais cabinets (pensez lignes de base, évaluation routinière…).

L’ASHA dans son code éthique requiert de ses cliniciens le monitoring de l’efficience du traitement et qu’un traitement ne peut être administré que si un bénéfice peut en être raisonnablement attendu. L’une des façons d’évaluer cette “attente raisonnable d’efficacité” est l’application de la méthode scientifique à la pratique clinique.
Donc imaginez que vous avez un patient qui vous questionne et vous ne savez pas par quel bout le prendre:

  • Formuler une question pouvant mener à une hypothèse

  • Pour cela, on a le système PICO soit P (Patient), I (Intervention), C (Comparaison), O (Outcome ou résultat). Par exemple:Les enfants de 3 ans avec un TDSP (P), l'utilisation des praxies non verbales (I), la répétition de mots ( C), l’intelligibilité après 4 mois (O).

  • Formuler une hypothèse à partir de cette question

  • En reprenant l’exemple précédent, l’hypothèse serait: « Si je mène une rééducation en utilisant des praxies non verbales, ces exercices poseront les bases pour une meilleure production de la parole. » Une fois énoncée, l'hypothèse peut alors être évaluée.

  • Évaluer les données de la recherche et les autres données pertinentes

  • Afin d’obtenir et juger de cette information, un peu de lecture s’impose mais attention, même si les données à notre portée sont de plus en plus nombreuses, toutes ne se valent pas et une “consommation éclairée” est nécessaire. Pourquoi une consommation éclairée et pourquoi cette comparaison toute pourrie?
    (1) Certains journaux scientifiques sont plus rigoureux que d'autres, ce qui signifie que certaines publications ne sont pas forcément scientifiquement validées; (2) La méthodologie de recherche utilisée pour répondre à une question influence considérablement les résultats de l'étude (d'où l'importance pour les cliniciens de comprendre les designs de recherche) ; (3) Certains auteurs tirent des conclusions erronées des données obtenues, il est donc essentiel de comprendre ce que signifient les données et de vérifier la validité des conclusions.
    Quoi!? On nous ment!? Oui et non, parfois les chercheurs ou les journaux prennent des libertés avec la réalité. Pourquoi? Mille raisons! Pour garder leur poste (publish or perish), les conflits d’intérêt ou tout simplement parce qu’ils se trompent!

  • Créer une méthodologie pour tester son hypothèse

  • Comme dit, les lignes de base multiples et l'évaluation routinière sont de bons moyens de juger de l’efficacité de son traitement. A ce sujet, j’ai fait un article sur l’évaluation critériée issu des travaux de Tracy Martinez Perez et Sylvie Willemse vraiment, on ne mérite pas tant de femmes brillantes en France, c’est pour cela qu’elles sont en Belgique.

    Il est évidemment nécessaire de s'éloigner des descriptions qui ne permettent pas de prouver une relation de cause à effet et de contrôler la présence de variables confondantes.
    C’est quoi une variable confondante? C'est une variable qui va influer sur tes résultats et te donner l’impression d’un lien qu’il n’y a pas par exemple si tu fais une étude sur l’efficacité de ton intervention en lecture sur deux groupes d’enfants mais que tu ne tiens pas compte des lecture à la maison tu vas croire que ton groupe qui a fait lecture option chamanisme est plus performant que ton groupe contrôle alors que tous les enfants néochamaniques sont issus de familles ayant un livre greffé à la main… Tu me suis?

  • Appliquer ce que l’on a appris ou recommencer

  • Si l'hypothèse n'est pas vérifiée, une autre expérimentation pourra être menée après avoir modifié ou ajusté les facteurs critiques, et une nouvelle hypothèse sera formulée. Si l'hypothèse est vérifiée, alors cette PBE (Pratique Basée sur les Preuves) peut aider le clinicien à prendre des décisions cliniques informées.

    Conclusion Who’s got time for that!!??


    L'objectif de l’auteur était visiblement de nous informer sur la démarche scientifique et comment son application en orthophonie peut réduire l’écart entre recherche et pratique clinique mais aussi contrer les méthodes pseudo scientifiques qui ont encore cours en orthophonie. Êtes- vous convaincues? Probablement mais l’application reste la partie la plus difficile!

    ((Je ne peux pas m'empêcher de rajouter mon petit grain de sel! Cet article s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler une conception Bayésienne de la philosophie des sciences. Elle repose sur l'idée que les scientifiques ajustent leurs croyances ou hypothèses en fonction des nouvelles preuves, selon des règles formalisées par la théorie de la probabilité. On la qualifie souvent comme naïve car elle suppose que la science se réduit à une mise à jour probabiliste, ignorant ainsi les aspects sociaux, méthodologiques et imprévus de la recherche.))

    (( Si le sujet du scepticisme vous intéresse: Les sceptiques ont un dieu en France et c’est Henri Broch, son fils spirituel est Richard Monvoisin dont il faut absolument regarder les cours en ligne sur Youtube, je l’ai déjà dit non? Aux Etats-Unis, il y a Lilienfeld mais si c’est vraiment la philo qui vous intéresse, rien ne vaut un bon Carl Sagan))