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Encore un petit post insta qui a pris des proportions inattendues. Voici ma petite plongée rapide dans les eaux troubles de l'édition scientifique. Alors ce n'est qu'un humble survol mais j'espère qu'il vous sera utile!
Petite intro avant de rentrer dans le chaud:

L’expérience "Dr Fraud"


En 2015, quatre chercheurs ont créé un faux profil de scientifique médiocre nommé Anna O. Szust (oszust signifie "fraude" en polonais) et ont postulé en son nom à un poste de rédactrice dans 360 revues scientifiques. Les qualifications de Szust étaient pas terribles terribles pour un tel poste : elle n’avait jamais publié un seul article et n’avait aucune expérience éditoriale. Les livres et chapitres de livres mentionnés dans son CV étaient inventés, tout comme les maisons d’édition censées les avoir publiés.

Un tiers des revues contactées provenaient de la Beall's List (une liste de revues prédatrices). Quarante d’entre elles ont accepté Szust comme rédactrice sans aucune vérification préalable, souvent en quelques jours voire quelques heures. En comparaison, elle a reçu peu ou pas de réponse positive de la part des revues dites « témoins », qui « doivent répondre à certaines normes de qualité, y compris en matière de pratiques éthiques de publication ». Parmi les revues issues du Directory of Open Access Journals (DOAJ), 8 sur 120 ont accepté Szust. Le DOAJ a depuis retiré certaines de ces revues lors d’un nettoyage effectué en 2016. Aucune des 120 revues sélectionnées dans le Journal Citation Reports (JCR) n’a proposé le poste à Szust.

Les résultats de cette expérience ont été publiés dans Nature en mars 2017 et ont été largement relayés dans la presse et j’en tire une conclusion flamboyante: Toi aussi tu peux proposer un article pourri et être publiée demain si c’est ton rêve!

Si tu veux jeter un coup d'oeil: Sorokowski, Piotr (2017). "Predatory journals recruit fake editor". Nature. 543 (7646): 481–483. doi:10.1038/543481a

1/ Définition:


Les revues prédatrices sont des journaux scientifiques qui exploitent le modèle de l’open access sans respecter les standards de la publication scientifique (relecture par les pairs, transparence, qualité…). Selon une revue de la littérature menée par Kelly Cobey et ses collègues en 2018, il n’existe aucune définition universelle de ce qu’est une revue prédatrice ce qui permet notamment leur prospérité.

Mais attention : toutes les revues scientifiques dites "sérieuses" ne sont pas exemptes de reproches. Certaines revues légitimes, publiées par de grands éditeurs académiques, peuvent aussi adopter des pratiques discutables (pression à publier rapidement, frais de publication élevés, processus de relecture opaque ou expéditif… )Autant de dérives qui brouillent parfois la frontière entre rigueur scientifique et logique commerciale. On peut également voir fleurir des numéros spéciaux à la chaîne, gérés par des éditeurs invités ou des articles publiés malgré des méthodologies fragiles. Ces pratiques, bien qu’elles ne relèvent pas à proprement parler de la prédation, interrogent sur la qualité et l’intégrité du processus éditorial. Cela rappelle que la vigilance ne doit pas se limiter aux revues prédatrices mais s’étendre à l’ensemble du paysage éditorial scientifique.

L’objectif de leur étude a été de créer une définition consensuelle pour mieux sensibiliser, protéger les auteurs et évidemment pouvoir lancer le name and shame (ca c’est moi).
Après avoir analysé 344 articles, les auteurs ont identifié 109 caractéristiques de ces revues douteuses, regroupées en 6 grandes catégories et traduites par mes petits soins :

Les signes à surveiller :
  • Manque de transparence sur les frais de publication (maiouais! C’est l’auteur ou le labo qui paie pour être publié souvent)
  • Relecture par les pairs inexistante ou bâclée (genre une revue correcte se fait pas en deux jours madame, c’est de la science fiction)
  • Sollicitations insistantes par email (Nature va pas te DM, rêves pas)
  • Comité éditorial fantôme (ou peuplé de chercheurs fictifs/morts/pas au courant)
  • Qualité globale médiocre des articles (quand y’en a pas un pour rattrapper l’autre)
  • Indexation absente dans les bases reconnues (PubMed ? Scopus ? Web of Science ? Connaît pas.)
  • Le piège ? Certains chercheurs se font avoir mais de moins en moins… d’autres en profitent pour gonfler artificiellement leur CV.

    source: Cobey KD, Lalu MM, Skidmore B et al. What is a predatory journal? A scoping review [version 2; peer review: 3 approved]. F1000Research 2018, 7:1001 (https://doi.org/10.12688/f1000research.15256.2)

    2/ Historique (Beall et les autres)


    Dès 2008, des voix commencent à s’élever contre certaines pratiques douteuses dans le monde des revues en libre accès. Gunther Eysenbach, éditeur d’une revue open access, alerte sur ce qu’il appelle les « moutons noirs » parmi les éditeurs. Dans un article de blog, il dénonce le recours massif au spam pour attirer auteurs et éditeurs, citant notamment Bentham, Dove Medical Press et Libertas Academica comme exemples problématiques.

    L’année suivante, en 2009, les critiques se poursuivent. Le blog Improbable Research révèle que certaines revues de l’éditeur Scientific Research Publishing publient des articles déjà diffusés ailleurs, sans mention ni avertissement — une pratique contraire à l’éthique scientifique. Ces signalements sont relayés par la revue Nature, confirmant l’existence d’un phénomène inquiétant.

    C’est dans ce contexte que Jeffrey Beall, LE bibliothécaire de l’université du Colorado à l’époque, met en place ce qui deviendra la plus célèbre tentative de régulation : la liste de Beall. Créée en 2008, cette liste identifie les éditeurs soupçonnés de pratiques prédatrices. Initialement modeste, elle prend rapidement de l’ampleur, passant de 18 éditeurs en 2011 à 923 en 2016. La liste est régulièrement mise à jour sur le blog Scholarly Open Access.

    DRAMA ! En janvier 2017, Beall ferme son site et retire la liste, évoquant des pressions juridiques importantes. Des éditeurs comme OMICS ou Frontiers Media auraient menacé de poursuites, illustrant les tensions entre dénonciation publique et protection légale des entreprises.
    Les critères retenus par Beall pour inclure un éditeur dans sa liste étaient multiples. Ils comprenaient par exemple des comités éditoriaux identiques d’une revue à l’autre (ou sans diversité géographique), l’absence de politique claire de conservation des archives, la présence de fichiers PDF verrouillés pour empêcher la détection de plagiat, ou encore de fausses déclarations d’indexation dans des bases de données scientifiques réputées.

    Un site intitulé “Beall's List of Potential Predatory Journals and Publishers” tenu par un chercheur européen anonyme aurait repris le flambeau mais on comprend sa volonté de discrétion. Des listes similaires ont été créées, notamment le CSIR-Structural Engineering Research Centre, ainsi qu’un groupe anonyme à l’origine du site Stop Predatory Journals.
    La société Cabell’s International, spécialisée dans l’analyse de publications scientifiques et autres services académiques, propose également une liste noire et une liste blanche accessibles par abonnement sur son site web.

    Depuis 2021, le Norwegian Scientific Index a introduit la catégorie "niveau X", qui regroupe les revues suspectées d’être prédatrices ; cette décision fait suite à des inquiétudes exprimées à propos de la maison d'édition MDPI.

    Source: https://fr.wikipedia.org/
    https://en.wikipedia.org/

    3/ Comment les chercheurs s’en prémunissent:


    Les revues prédatrices piègent de nombreux chercheurs. Certains y publient en toute bonne foi, pensant soumettre leur travail à une revue sérieuse. D’autres, en revanche, les utilisent volontairement pour multiplier les publications et gonfler artificiellement leur CV, dans un contexte de forte pression à la publication. Cette situation nuit gravement à l’intégrité scientifique.

    Le modèle de l’open access, bien que légitime et utile, contribue parfois à la confusion. Dans ce système, ce sont souvent les auteurs eux-mêmes — ou leurs laboratoires — qui paient pour publier leur article. Des éditeurs peu scrupuleux exploitent ce modèle en facturant des frais parfois élevés, sans offrir les garanties scientifiques attendues (relecture, éthique éditoriale, indexation…). Il est donc essentiel de savoir distinguer les éditeurs fiables des éditeurs douteux.

    Pour aider les chercheurs à y voir plus clair, plusieurs initiatives ont vu le jour. L’une des plus reconnues est la campagne internationale Think. Check. Submit.. Elle propose une checklist simple et efficace pour évaluer la fiabilité d’une revue avant d’y soumettre un article.
    Parmi les questions posées :
  • Le site de la revue est-il professionnel, clair et à jour ?
  • Le comité scientifique est-il identifiable, avec des affiliations valides ?
  • Les frais de publication sont-ils clairement indiqués ?
  • La revue est-elle indexée dans des bases de données reconnues (Scopus, Web of Science, DOAJ…) ?

  • D’autres outils sont également disponibles, comme le Compass to Publish développé par l’Université de Liège, qui permet de vérifier le niveau de fiabilité d’une revue en quelques clics. Certaines universités vont plus loin et forment activement leurs doctorants et enseignants-chercheurs à repérer les pratiques douteuses, notamment en diffusant des recommandations internes.

    Ce phénomène ne se limite pas aux revues. Des conférences prédatrices se développent également, surfant sur le même modèle. Les chercheurs sont démarchés par email pour participer à des congrès fictifs ou sans comité scientifique, parfois dans des lieux prestigieux... mais sans aucune légitimité académique.
    Dans tous les cas, ces pratiques fragilisent la confiance dans la recherche et compromettent la diffusion de savoirs fiables. Une vigilance collective et une meilleure information restent les meilleures armes pour s’en prémunir.

    source: https://services.lib.ulie

    4/ Et en tant que lecteur, comment on fait?


  • Vérifier la crédibilité de la revue
  • Consulte le site de la revue : est-il professionnel, clair et complet ?
    Le journal mentionne-t-il une politique éditoriale, un comité scientifique identifiable, une procédure de relecture par les pairs ?
    Pensez à vérifier la note du journal sur Scimago Journal & Country Rank (SJR) qui est un outil en ligne qui classe les revues scientifiques en fonction de leur impact et de leur visibilité. Une note dans le 1er quartile est excellente, commencez à vous méfier à partir du 3eme quartile.

  • Consultez des white lists : la revue elle-elle reprise dans ces listes mondialement reconnues
  • Bases de données reconnues : Web of science, Scopus, PubMed
    https://miar.ub.edu/ (Information Matrix for the analysis of Journals,)
    https://doaj.org/(Directory of Open Access Journals),
    https://publicationethics(Commitee on Publication Ethics),
    https://www.oaspa.org/ (Open Access Scholarly Publishing Association)
    ou des des Black lists :
    https://cabells.com/solut
    https://beallslist.net/: attention elle n'est plus mise à jour par Bealls lui-même !

  • Analyser l’article lui-même
  • Un article douteux présente souvent un langage flou, des références vagues ou absentes, ou encore des résultats “trop parfaits”. Je te renvoie vers cet article: Olivier Corneille et al. (2023) Point of View: Beware ‘persuasive communication devices’ when writing and reading scientific articles eLife 12:e88654.https://doi.org/10.7554/eLife.8865
    Regarde aussi si l’article suit une structure scientifique rigoureuse (IMRaD : Introduction, Méthode, Résultats, Discussion), s’il est préenregistré, reproductible, sourcé.
    Les auteurs mentionnent-ils un conflit d’intérêt éventuel ? C’est un bon indicateur de transparence.

  • Se méfier de l’accès trop facile
  • Ce n’est pas parce qu’un article est gratuit ou bien positionné dans Google qu’il est scientifiquement solide. Des revues prédatrices peuvent être accessibles sur Google Scholar, voire parfois sur ResearchGate. Donc l’argument “Pubmed” c’est zéro!

  • Croiser les sources
  • Vérifie si l’article est cité ailleurs (avec Connected Papers par exemple) et comparer avec d’autres publications sur le même sujet dans des revues reconnues.

    source: https://www.uclouvain.be/

    En conclusion:


    Lire un article scientifique ne signifie pas lui accorder d’emblée toute notre confiance. Il est essentiel de garder un regard critique, surtout dans un contexte où les revues prédatrices se multiplient. Ces plateformes exploitent le système de la publication scientifique à des fins lucratives : elles permettent à certains de s’enrichir, non pas grâce à la qualité du savoir, mais au détriment de l’intégrité scientifique.

    En acceptant sans contrôle des articles de faible qualité (ou carrément frauduleux), elles participent à la diffusion de fausses croyances qui peuvent parfois prendre l’apparence de vérités scientifiques, simplement parce qu’elles sont publiées. Ce phénomène s'inscrit dans une dérive de “scientisme de façade” : l’habillage d’un discours pseudoscientifique avec les codes de la science pour mieux le légitimer.

    On se souvient, malheureusement, des conséquences dramatiques de l’étude frauduleuse de Andrew Wakefield, publiée en 1998, qui prétendait établir un lien entre vaccin ROR (rougeole-oreillons-rubéole) et autisme. Bien qu’elle ait été rétractée et démentie scientifiquement, elle a durablement nourri la méfiance envers la vaccination, avec des impacts sanitaires bien réels.

    Pour continuer à lire:
    https://www.futura-scienc

    https://arxiv.org/abs/230