Connexion

Articles

Rechercher

Dans quelle mesure les études interventionnelles en autisme font état de la race et de l’ethnicité des participants? Dans le theme “why is research so white?” Nous avons ici une revue systématique de grande envergure qui a cherché à voir le taux de déclaration d’appartenance des participants et si elles suivaient des tendances.Les auteurs ici ne se sont intéressés que à ce qu’ils appellent les EBP, ils ont donc laissé de côtés les études sur les pierres magiques, le packing ou encore les huiles essentielles.
TagsTSA, éthique
Titre originalPatterns in reporting and participant inclusion related to race and ethnicity in autism intervention literature: Data from a large-scale systematic review of evidence-based practices
AuteursSteinbrenner, J. R., McIntyre, N., Rentschler, L. F., Pearson, J. N., Luelmo, P., Jaramillo, M. E., Boyd, B. A., Wong, C., Nowell, S. W., Odom, S. L., Hume, K. A.
Date de publication2022
RevueAutism
Lien Sourcehttps://doi.org/10.1177/136236132110725

Introduction:


Avec l’augmentation des diagnostics d’autisme, on constate également une augmentation de la diversité ethnique des enfants diagnostiqués. Et là préparez vous au tournant militant:
La race est une construction sociale (mais oui mais oui) qui varie selon les époques et les contextes sociaux et tout comme d’autres catégories intersectionnelles ( le genre, le statut socio-économique), elle permet de prédire avec une précision inquiétante les disparités de santé chez les enfants autistes. Ces disparités nous obligent à examiner les tendances concernant l’inclusion des participants et la manière dont la race et l’ethnicité sont rapportées dans la recherche sur les interventions en autisme.Car des pratiques de déclaration insuffisantes et une sous-représentation de certains groupes raciaux ou ethniques peuvent entretenir, voire aggraver, les inégalités d’accès aux services et la qualité des soins.
Historiquement, la recherche sur l’autisme a reflété des tendances anglo/américano-centriques alors qu’il est essentiel de prendre en compte l’intersectionnalité entre la race et le handicap dans les travaux de recherche sur l’autisme.

Mais qu’est ce que l’intersectionnalité? Petite parenthèse importante:
L’intersectionnalité a été décrite comme un cadre permettant d’examiner simultanément plusieurs expériences et identités.
Par exemple, les programmes d’éducation spécialisée peuvent être perçues comme un moyen d’obtenir un enseignement individualisé pour les familles blanches, tout en étant considéré comme un outil de stigmatisation pour les enfants issus de minorités raciales et ethniques.
Dans cette logique de stigmatisation liée au handicap chez les enfants racisés, des auteurs décrivent les intersections entre la race et le handicap comme un cumul d’oppressions.
Ainsi, les jeunes autistes noirs subissent des inégalités à la fois liées à leur race (racisme) et à leur handicap (validisme). Ces systèmes d’oppression combinés se traduisent souvent par des disparités spécifiques dans l’accès et la qualité des soins. Le manque d’inclusion des familles issues de minorités raciales et ethniques dans la recherche sur l’autisme, ainsi que la sous-représentation, voire l’absence de prise en compte, des rôles de la race, de l’ethnicité et des identités intersectionnelles sont préoccupants.

Les inégalités systémiques dans la recherche et la prise en charge de l’autisme.


Les injustices systémiques, la race et d’autres facteurs démographiques peuvent constituer des déterminants sociaux de la santé et contribuer à des conséquences négatives pour les personnes autistes, déjà plus à risque. Les tendances observées dans les données de prévalence montrent des disparités dans la rapidité et l’égalité du diagnostic. Les parents noirs rapportent que leurs inquiétudes concernant le développement de leur enfant sont souvent ignorées. Les diagnostics d’autisme pour les enfants noirs sont posés en moyenne plus de trois ans après que les parents ont exprimé leurs premières préoccupations, avec un âge moyen de diagnostic de 5 ans et 5 mois soit plus d’un an plus tard que l’âge moyen de diagnostic observé pour l’ensemble des personnes autistes.

Bien que moins documentées, ces tendances existent également dans l’accès aux soins et leur qualité. Aux États-Unis, les enfants noirs et latino ont moins de chances de bénéficierde soins spécialisés que les enfants blancs et les enfants asiatiques sont moins susceptibles de recevoir des services d’ergothérapie et d’orthophonie que les enfants blancs.

S’il paraît clair que des disparités dans le diagnostic et les soins vont avoir un impact sur l’état du patient, peu de recherches se sont penchées sur les différences d’effet de ces soins selon les groupes raciaux et ethnique. Aucune étude n’a été identifiée rapportant des disparités sur la santé des personnes autistes, et aucune n’a examiné l’efficacité des interventions selon la race, l’ethnicité ou le statut socio-économique dans les deux revues systématiques récentes sur le sujet.

La sous-représentation des participants issus de minorités raciales et ethniques dans la recherche interventionnelle crée un manque majeur dans nos connaissances concernant la pertinence, la faisabilité et l’efficacité pour les personnes autistes non blanches, leurs familles et les professionnels qui les accompagnent.
Il existe toutefois quelques exceptions, notamment des chercheurs ayant élaboré des interventions spécifiquement destinées aux familles issues de minorités ou mené des travaux visant à comprendre et/ou à adapter des interventions dans des pays historiquement mal servis. Néanmoins, la rareté des recherches dans ce domaine est préoccupante, car il reste incertain que les interventions, dont beaucoup ont été conçues principalement par et pour des enfants blancs, soient véritablement efficaces de manière générale.

Déclarer la race et l’ethnicité des participants comme point de départ


La déclaration systématique de la race et de l’éthnicité des participants n’est en aucun cas suffisante pour comprendre et adresser les disparités dans les interventions en autisme mais sont une étape nécessaire afin d’étudier et réduire ces disparités.

Une précédente revue systématique n’a trouvé que 17.9% de déclaration sur 408 études entre 1990 et 2011. (Les auteurs dans l’article original citent plusieurs articles et méta-analyses sur des études interventionnelles ou des programmes spécifiques mais on n ‘arrive jamais plus haut que 30% de déclaration). Donc même si certains pays déclarent plus, notamment les pays Nordiques, cela reste très faible.

L’objectif de cette étude est d’examiner la déclaration de données ayant trait à la race et l’éthnicité des patients, et l'inclusion des participants venant de divers groupes ethniques et racisés dans les études interventionnelles en autisme sur environ 25 ans et compléter ainsi une étude précédente (Wong et al. 2015) et demande:
  • Quelles proportions d’articles rapportent des informations sur la race et l’origine ethnique des participants dans la littérature interventionnelle en autisme ?
  • Les pourcentages diffèrent-ils selon les caractéristiques des études?
    Comment la déclaration des données sur la race et l’origine ethnique évolue-t-elle au fil du temps ?
  • Parmi les articles qui rapportent des données sur la race et l’origine ethnique des participants, quelles sont les proportions d’inclusion dans les différentes catégories raciales et ethniques, pour les études et pour les participants ?
  • Les taux d’inclusion des participants issus des différentes catégories raciales et ethniques diffèrent-ils selon les caractéristiques des études (par exemple : type de plan d’étude, catégories de pratiques fondées sur les données probantes [EBP], domaines de résultats) ?


    Méthode:


    Concernant la méthode, les auteurs ont étendu la revue systématique de Wong et al. (2014, 2015), couvrant 1990–2017 en recherchant dans 9 bases de données, avec des termes liés à l’autisme et à l’intervention. 31 000 articles ont été identifiés (après déduplication). s’en est suivi un dépistage en deux étapes (titre/résumé puis texte intégral) via Covidence, selon des critères d’inclusion/exclusion. Il restait donc 1282 articles soumis à une évaluation méthodologique (basée sur les critères What Works Clearinghouse). Les types d’études inclus : essais randomisés, quasi-expérimentaux et SCED. Double évaluation indépendante, avec 73 % d’accord interjuges ; divergences résolues en équipe.
    L’extraction des données sur la race et l’ethnicité a été réalisée après la revue selon un système inspiré de West et al. (2016) avec 11 catégories de race/ethnicité (dont White, Black, Asian, Hispanic/Latino, Middle Eastern, Native American, etc.), plus des catégories combinées, autres et non rapportées.

    Les auteur ont aussi collecté d’autre données sur :le nombre total de participants, la présence ou non de données raciales/ethniques, la répartition par catégorie, le nombre de participants par catégorie et le type d’intervention

    Les analyses ont d’abord porté sur des statistiques descriptives, visant à déterminer la proportion d’articles rapportant des données sur la race et l’ethnicité, la présence de participants issus de chaque groupe et le nombre total de participants par catégorie. Une analyse de régression a ensuite été menée pour examiner l’évolution de la fréquence de ce rapport en fonction de l’année de publication.
    Enfin, les chercheurs ont étudié les tendances de rapport et d’inclusion selon plusieurs caractéristiques des études : le type de plan expérimental (études de groupe versus plans à cas unique), les catégories d’interventions fondées sur les preuves (EBP) et les domaines de résultats évalués.

    Résultats


    A la question “Quelles proportions d’articles rapportent des informations sur la race et l’origine ethnique des participants dans la littérature interventionnelle en autisme?”:
    La race et l’ethnicité des patients a été mentionnée dans un peu moins de 25% des 1013 études. Plus souvent dans les études de cohorte (47% de 192 études) que dans les SCED (20% sur 821 études). Une variabilité importante est notée selon les méthodes et les domaines des études allant de 0% de déclaration sur l’intégration sensorielle à 71% dans la médiation musicale.
    Pour examiner les changements dans la manière dont les données étaient rapportées au fil du temps,les auteurs ont analysé les tendances année par année et réalisé une régression linéaire avec l’année de publication comme seul prédicteur, et le pourcentage d’articles rapportant des données sur la race/l’origine ethnique comme variable dépendante.

    On observe une tendance générale à l’augmentation de la mention de ces données au fil du temps, avec une croissance moyenne de 0,9 % par an. A noter queles cinq dernières années montrent une hausse moyenne de 1,9 % par an, ce qui suggère un léger changement de tendance récent. L’année de publication prédit de manière significative le pourcentage d’articles rapportant des données sur la race/l’origine ethnique.
    A la question “Parmi les articles qui rapportent des données sur la race et l’origine ethnique des participants, quelles sont les proportions d’inclusion dans les différentes catégories raciales et ethniques, pour les études et pour les participants ?”
    Parmi les 252 études ayant indiqué la race ou l’origine ethnique des participants, 81 % incluaient au moins une personne blanche contre seulement 20 à 57 % pour les autres groupes (Noirs, Asiatiques, Hispaniques).

    Les participants blancs représentaient la majorité des échantillons : 65 % dans les études de groupe et 52 % dans les études SCED. Les autres catégories étaient très minoritaires : 10 % ou moins dans les études de groupe et entre 11 % et 17 % dans les études SCED pour les groupes les plus représentés (Noirs, Asiatiques, Hispaniques/Latinos), et moins de 4 % pour les autres. Aucune étude de groupe ne rapportait de participants amérindiens ou natifs hawaïens/pacifiques. Parmi les 27 pratiques fondées sur les preuves (EBP) avec données disponibles, toutes incluaient des participants blancs, mais la majorité n’incluaient aucun participant issu de plusieurs minorités (jusqu’à 26 EBP sans participants amérindiens).

    En clair: Moins d’un quart des études interventionnelles en autisme rapportent la race ou l’origine ethnique des participants, avec une légère augmentation récente et parmi celles qui le font, les participants blancs sont largement majoritaires tandis que la représentation des autres groupes reste très faible voire absente.

    Discussion:


    Les auteurs constatent que meme s’il augmente légèrement durant les dernières années, le taux de déclaration de l’ethnicité des patients reste très bas avec un maximum de 36% en 2014 et une moyenne de 28% enter 2010 et 2016.
    L’étude a observé que les auteurs rapportaient les données sur la race/l’ethnicité environ 2,5 fois plus souvent dans les études de groupe (46,9 %) que dans les études à cas unique (SCED, 19,7 %). Peut-être parce que les études de groupe visent à tirer des conclusions généralisables à de plus larges populations? Et pourtant, l’analyse de la variable « race/ethnicité » reste rare dans ces travaux.

    Dans les études à cas unique, où les échantillons sont très petits, le rapport détaillé des caractéristiques des participants est pourtant essentiel et devrait être inclus notamment pour permettre de reproduire ces études.
    Le taux de rapportage (je viens d’inventer ca) des données raciales/ethniques augmente lentement : environ +0,5 à +1 % par an, voire +1,9 % sur les cinq dernières années. Malgré cette tendance positive, la progression reste trop faible pour atteindre une transparence complète à court terme.

    Concernant la composition des études; la majorité des études incluent des participants Blancs (81 % des études, 65 % des participants) mais ca on s’en doutais déjà. Les participants Noirs (7,7 %), Hispaniques/Latinos (9,4 %) et Asiatiques (6,4 %) sont nettement sous-représentés par rapport à la population scolaire américaine (13,4 %, 18,5 % et 5,9 % respectivement). La proportion de participants Noirs et Asiatiques a même diminué depuis la revue précédente.Les participants multiraciaux, amérindiens, moyen-orientaux et insulaires du Pacifique sont quasi absents. De plus, certaines études regroupent toutes les minorités dans une seule catégorie (“non-White”), ce qui empêche des analyses fines et entre nous, hautement problématiques (ca serait drôle si c’était pas raciste).

    Implications:


    Une attention accrue est actuellement portée sur les inégalités et les injustices systémiques. Des appels ont été lancés pour adopter des pratiques antiracistes à toutes les étapes du processus de recherche, de la conceptualisation à la mise en œuvre, jusqu’à la diffusion des résultats. La présente étude montre que la plupart des auteurs d’articles sur les pratiques fondées sur les données probantes (EBP) dans l’autisme ne rapportent pas la race ou l’ethnicité de leurs participants et, lorsque ces données sont rapportées, les participants blancs sont surreprésentés.
    Cela pose problème pour déterminer pour QUI les interventions sont réellement efficaces.

    Limites:


    Bien evidemment, cette étude présente plusieurs limites.
    Seuls les articles rédigés en anglais ont été inclus dans la revue systématique, ce qui signifie que la présentation et la diversité des échantillons ne reflètent peut-être pas l’ensemble de la recherche internationale sur les interventions en autisme meme si, on le sait tous, la plupart des études sont publiées en anglais, mais tout de meme.
    De plus, les catégories et définitions utilisées pour le codage reposaient sur une vision centrée sur les États-Unis de la race et de l’ethnicité, ce qui peut introduire des biais, puisque la terminologie varie selon les cultures et les pays, influençant la manière dont ces données sont rapportées.
    Une analyse sommaire indique qu’environ 78 % des articles inclus proviennent de recherches menées aux États-Unis, et environ 10 % supplémentaires de pays occidentaux (Canada, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande), selon les informations rapportées directement ou les affiliations des auteurs.

    Conclusion:


    L’absence de données rapportées sur la race et l’ethnicité, ainsi que la représentation limitée des différents groupes raciaux et ethniques dans la recherche sur les interventions en autisme, est profondément préoccupante.
    Il est certain que les revues scientifiques doivent exiger la communication de ces données et faire respecter cette obligation, mais cela ne suffit pas à résoudre le problème de la sous-représentation des participants issus de minorités.
    Nous devons examiner de manière critique l’ensemble de nos pratiques de recherche et affronter le racisme implicite et explicite omniprésent dans nos travaux, qui influence probablement l’inclusion (ou l’exclusion) des participants racisés.
    Nous avons également besoin de davantage de chercheurs racisés dans le domaine de l’autisme.
    Du diagnostic à l’accès aux interventions, les personnes autistes et leurs familles issues de groupes historiquement marginalisés subissent de nombreuses inégalités.
    Pour expliquer ou réduire ces disparités, les chercheurs, décideurs et responsables se concentrent souvent sur l’effet de la race, plutôt que sur celui du racisme systémique.

    Et finalement c’est peut etre la mauvaise question qui se pose, ou du moins nous ciblons le mauvais niveau d’analyse, en mettant l’accent sur les différences entre les individus plutôt que sur la culture de supériorité blanche profondément ancrée dans nos sociétés et, par conséquent, dans la recherche.
    Des articles récents attirent l’attention sur les questions de diversité et d’inégalités dans la recherche en autisme mais il est crucial de poursuivre et de s’engager concrètement dans une démarche antiraciste active afin de réduire les disparités observées à tous les niveaux de la recherche et de l’intervention.